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l’homme et la terre. — milieux telluriques

reux; il est d’observation générale que les hommes vivant à l’air libre ont l’esprit plus ferme, l’intelligence plus claire, la démarche plus hardie, l’accueil plus noble et plus bienveillant que les fuyards retirés dans les forêts.

La plus ignorante des peuplades du Nouveau Monde, celle des Aïmores ou Botocudos, qui habitait la profondeur des selves du Brésil, sur le Doce et le Jequitinhonha, ne savait pas construire de cabanes, ni tisser de hamacs, ni tresser de paniers, ni façonner de poteries, ni cultiver le sol. Mais, vivant avec les bêtes de la forêt, et partageant leurs mœurs, pour ainsi dire, ces Indiens et leurs congénères ont une connaissance singulièrement précise de tout le monde animal qui les entoure ; nulle part, l’instinct de la compréhension mutuelle n’est poussé plus loin, et cependant l’élève des bêtes, soit pour la nourriture, soit pour des services directs, traction, transport des fardeaux ou collaboration à la chasse, n’est point pratiquée. Les conditions matérielles du milieu s’y opposent absolument. Comment mener du bétail dans les fourrés épais où l’on a peine à se glisser, où les gens de maintes tribus, les Coroados, — « Couronnés » ou « Tonsurés » —, se coupent la chevelure par crainte de l’embarrasser dans les branches ?

Par la nature de leur habitat, les gens des forêts doivent se diviser à l’infini, en groupes peu nombreux, même en simples agrégations de familles, cherchant, par la cueillette et la chasse, peut-être par quelque agriculture rudimentaire, à sustenter leur vie. Telle et telle nation, évaluée par les voyageurs à des milliers d’individus, est clairsemée sur de vastes étendues qu’on mettrait des journées à traverser ; des familles isolées, gîtant sous bois, ou bien, les jours de fête ou de palabre, autant de gens assemblés qu’on en trouve en des hameaux d’Europe, ce sont là tous les naturels que les explorateurs rencontrent dans les forêts du Nouveau Monde.

Les langues se fragmentent, comme les races, en un pareil milieu. Chacune de ces petites humanités modifie graduellement son parler, et, dans l’espace d’un petit nombre de générations, le langage se divise en plusieurs dialectes très distincts. A la suite d’un combat malheureux, d’une inondation fluviale, une langue peut disparaître avec la tribu qui la parlait. Tout le monde connaît l’histoire de la peuplade vénézolane des Atures qui s’éteignit, ne laissant qu’un perroquet pour