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l’homme et la terre. — milieux telluriques

constate nettement que les maisons se pressent sur les talus fertiles de déjection apportés par les torrents. Ces cônes sont d’autant plus populeux que leur masse est plus ample, correspondant à un bassin torrentiel plus riche en eaux courantes ; enfin le côté de la vallée tourné vers le soleil, et d’ailleurs le mieux cultivé en espèces plus appréciées, telles que la vigne, offre une guirlande de villages plus rapprochés[1].

Dans les plaines et pénéplaines, chaque massif de collines, même chaque butte insulaire représente en moindres proportions le théâtre des vastes montagnes, et les mêmes oppositions de milieux influent sur les résidants suivant une mesure correspondante. Ainsi les rochers escarpés dominant les villages et leurs cultures ont favorisé la construction des châteaux forts et des repaires murés et crénelés où se tenaient les chevaliers pillards du moyen âge, et c’est encore sur les points dominants que l’on construit de nos jours les ouvrages de guerre.

Mais un sentiment d’orgueil entre aussi pour une grande part dans cet amour des sommets. Dans le Haurau, presque chaque cime de montagne porte son tombeau. En mourant, le chef demande qu’on aille porter son corps sur un piton de volcan et ses fils ont à cheminer péniblement sur les rocs pendant des journées entières pour accomplir la volonté paternelle. Aaron, Moïse, qui étaient aussi des Bédouins, furent également ensevelis par leur Dieu sur de hautes montagnes[2].

De même les cavernes, les sinueuses galeries des grottes ont pu longtemps offrir, pendant les âges de civilisations primitives, les avantages de la sécurité, comme les hautes vallées closes des montagnes, et certaines populations, notamment les Magdaléniens des temps paléolithiques, paraissaient n’avoir pas eu d’autres demeures.

Toutefois la nature du sol ne permettait pas d’ordinaire grande extension aux Troglodytes avant que l’art ne vint à leur aide pour la construction des villes souterraines : la force du peuplement et la domination appartiennent aux hommes que porte la terre libre de tous ces labyrinthes mystérieux. Aux époques d’autrefois, la race humaine, représentée par ses variétés diverses, se développait d’autant plus amplement que le sol était plus ouvert et plus tempéré, à la fois moins stérile

  1. Maurice Lugeon, Archives de la Société Vaudoise des Sciences naturelles, 15 juin 1901.
  2. J. G. Wetzstein, Reisebericht über Haurau und die Trachonen.