Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.
iii
préface

l’exception des peuplades restées dans le naturisme primitif, se dédoublent pour ainsi dire en classes ou en castes, non seulement différentes, mais opposées d’intérêts et de tendances, même franchement ennemies dans toutes les périodes de crise. Tel est, sous mille formes, l’ensemble de faits que l’on observe en toutes les contrées de l’univers, avec l’infinie diversité que déterminent les sites, les climats et l’écheveau de plus en plus entremêlé des événements.

Le deuxième fait collectif, conséquence nécessaire du dédoublement des corps sociaux, est que l’équilibre rompu d’individu à individu, de classe à classe, se balance constamment autour de son axe de repos : le viol de la justice crie toujours vengeance. De là, d’incessantes oscillations. Ceux qui commandent cherchent à rester les maîtres, tandis que les asservis font effort pour reconquérir la liberté, puis, entraînés par l’énergie de leur élan, tentent de reconstituer le pouvoir à leur profit. Ainsi des guerres civiles, compliquées de guerres étrangères, d’écrasements et de destructions, se succèdent en un enchevêtrement continu, aboutissant diversement, suivant la poussée respective des éléments en lutte. Ou bien les opprimés se soumettent, ayant épuisé leur force de résistance : ils meurent lentement et s’éteignent, n’ayant plus l’initiative qui fait la vie ; ou bien c’est la revendication des hommes libres qui l’emporte, et, dans le chaos des événements, on peut discerner de véritables révolutions, c’est-à-dire des changements de régime politique, économique et social, dus à la compréhension plus nette des conditions du milieu et à l’énergie des initiatives individuelles.

Un troisième groupe de faits, se rattachant à l’étude de l’homme dans tous les âges et tous les pays, nous atteste que nulle évolution dans l’existence des peuples ne peut être créée si ce n’est par l’effort individuel. C’est dans la personne humaine, élément primaire de la société, qu’il faut chercher le choc impulsif du milieu, destiné à se traduire en actions volontaires pour répandre les idées et participer aux œuvres qui modifieront l’allure des nations. L’équilibre des sociétés n’est instable que par la gêne imposée aux individus dans leur franche expansion. La société libre s’établit par la liberté fournie dans son développement complet à chaque personne humaine, première cellule fondamentale, qui s’agrège ensuite et s’associe comme il lui plaît aux autres cellules de la changeante humanité. C’est en