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l’homme et la terre. — potamie

des anciens dieux, et, descendants de leurs adorateurs ninivites, les spectateurs arabes se trouvèrent soudainement frappés d’une admiration mêlée d’effroi et même de terreur religieuse. Bien plus, les amas écroulés de briques nous ont conservé des milliers de tablettes écrites où les érudits modernes déchiffrent lentement les anciens mythes et retrouvent les origines de nos sciences. Mais si le précieux contenu des palais nous est resté, les constructions qui les abritaient n’ont pas duré. Si grandioses qu’ils fussent par les dimensions, ces bâtiments en briques crues ou cuites n’avaient pas l’éternité pour eux, du moins sous leur forme primitive ; ils devaient s’effondrer, se tasser en collines comme la butte de Birs Mimrud, comme les innombrables tell qui parsèment les plaines de la Babylonie et de la Susiane ; la pierre seule a subsisté. De même que les anciennes tours de Babel, les successives capitales d’Assur et les cités plus antiques encore de l’Akkadie, les villes de la Petite Mésopotamie que forment à l’est du Tigre les affluents du Karun sont devenues de simples monticules de terre grisâtre : les guerres, les incendies et le temps en ont eu facilement raison.

Des deux Suse qui se sont succédé en cette région pendant quatre mille années peut-être, la capitale de l’Elam et la résidence des rois Akhéménides, il n’est resté que des objets de peu de volume, blocs de diorite, pièces de bronze, poteries émaillées bleues, blanches, vertes, jaunes, des briques estampées et divers objets informes, mais tel est l’amas de terre cuite qui s’est entassé lors des incendies et des écroulements que pour la seule Acropole, le plus petit des trois monticules, de Morgan en évalue le cube à 1 500 000 mètres : ce tell de 35 mètres de hauteur est formé de décombres presque jusqu’au ras de la plaine voisine. A Nippur, les explorateurs américains ont constaté, sur une hauteur analogue, la superposition de 21 strates correspondant à autant de villes, dont six ont plus de 6 000 années de date.

Pareille démolition n’a pas eu lieu pour les monuments du « Trône de Djemchid », à Persepolis, grâce à l’emploi plus libéral de la pierre et à la faible hauteur relative des murs proprement dits ; le marbre et le porphyre des escaliers et des terrasses, des portes et quelques rares colonnes subsistent, quoique les briques soient tombées en poussière[1].

  1. J. de Morgan, Hilprecht, Dieulafoy.