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l’homme et la terre. — potamie

bassin fluvial, mais ayant eu les Salmanasar et les Assurnazirpal pour hôtes les plus fameux. Kalach déclina à son tour, remplacée peu à peu par Ninive, dont le tertre fait face à la ville moderne de Mossul ; cependant chacun des souverains, jaloux de sa divinité, aimait à fonder une demeure qui lui appartînt bien en propre, et vingt-six siècles avant nous, Sargon construisait son prodigieux palais à une vingtaine de kilomètres plus au nord : Dur-Charukin rappelle le nom du fondateur ; Khorsabad, appellation plus usuelle, provient de la dynastie perse des Chosrav, de douze à treize siècles postérieure à Sargon. Sennacherib ramena le centre de l’empire à Ninive, troisième capitale de l’Assyrie proprement dite.

Ninive, si admirablement placée à la réunion de deux importantes vallées, au point du fleuve où s’opérait le transbordement des marchandises, au milieu de la grande voie naturelle qui réunit le golfe d’Alexandrette aux campagnes élevées de l’Azerbeïdjan et à la mer Caspienne, et vers l’angle extrême d’un très grand amphithéâtre de montagnes, devait acquérir facilement une grande importance comme marché et dépôt central ; toutefois, l’emplacement occupé par les décombres de cette cité et qui est assez nettement délimité par les débris des remparts ne peut guère être évalué à plus de dix kilomètres carrés ; cet espace, dont une grande partie était réservée aux énormes palais royaux, n’aurait donc pu suffire à renfermer les foules considérables mentionnées par un passage obscur de la légende de Jonas[1]. Mais si commerçante et industrieuse que fût la capitale d’Assur, ses rois en firent surtout le « repaire des lions, la cité sanguinaire ».

Les maîtres du nord n’étaient pas, comme les premiers rois du midi, comme le « père Orkham », des êtres pacifiques et débonnaires, s’occupant surtout d’ « approfondir les mystères des fleuves pour le bonheur de leurs sujets » ; ils se vantaient d’être terribles, effroyables, comme leur divinité même, El-Ilon, le « Fort », « celui qui fait peur » ; ils racontaient leurs atrocités avec un orgueil simple, avec la calme tranquillité du devoir accompli ; d’ailleurs ce Dieu lui-même se confondait tellement avec eux qu’on a pu leur dénier toute religion ; ils ne bâtissaient point de temples : leurs demeures étaient les vrais sanctuaires[2] ; leurs Te Deum ne sont pas des survivances d’un passé loin-

  1. Chap.III, v. 3 ; chap. IV, v. ii.
  2. Ernest Renan, Histoire du Peuple d’Israël, t. II, p. 457.