Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
l’homme et la terre. — milieux telluriques

déjà devant ses disciples d’Athènes. Les vérités générales qu’il énonça furent répétées, amplifiées depuis par maints écrivains, tels que Montaigne, Bodin, Montesquieu, mais avec si peu de précision dans les faits que leurs remarques restèrent sans application sérieuse dans le domaine de la géographie et de l’histoire. C’est au dix-neuvième siècle que commencèrent les observations suivies dont l’ensemble a pris le nom de « science » avant de le mériter encore : du moins, les milieux par lesquels on cherche à déterminer les origines historiques des peuples de la Judée, de la Grèce, de l’Italie, ont-ils été décrits en d’admirables monographies.

Il ne suffit pas de reconnaitre d’une manière générale l’influence de la Nature sur l’Homme, il est nécessaire également de constater la part qui revient spécialement dans cette influence à chacune des conditions particulières du milieu. Aussi, pendant l’époque moderne, des savants se sont-ils livrés à la plus ingénieuse analyse et au tri le plus laborieux des faits, pour les classer chacun suivant l’action déterminante plus ou moins considérable qu’il exerce sur les hommes.

L’école de Le Play surtout s’est distinguée dans cet effort de classement des agents qui règlent l’activité de l’homme, et M. de Tourville, développant l’œuvre de son maître[1], a dressé la classification de tous ces agents, liste que son école considère comme un « instrument de travail ayant donné à la science sociale une impulsion comparable à celle que la chimie doit à sa nomenclature », comme un « outil précis et complet permettant d’analyser exactement et rapidement les sociétés les plus compliquées ». C’est beaucoup trop dire : cet instrument, de la plus haute utilité dans les mains de celui qui l’emploie en vue de renseignements sur des groupes sociaux déjà connus, peut devenir fort dangereux, manié par les chercheurs qui n’en subordonnent pas l’usage à la connaissance détaillée de la géographie et de l’histoire locales ; car l’importance des faits ne se présente point suivant un ordre régulier, toujours le même : elle varie en tout temps et en tout lieu, pour tout peuple et tout individu. Ici la froidure, les tempêtes, les vagues sont les grands meneurs des hommes ; ailleurs, c’est le bon soleil, c’est la douce brise.

La classification des faits sociaux due à M. de Tourville est divisée

  1. Science sociale, t. II, pp. 502 et suiv. ; — Edmond Demolins, Les Français d’aujourd’hui, pp. 431 et suiv.