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l’homme et la terre. — potamie

indiquaient donc, comme lieu de descente de l’arche, la pointe la plus élevée du demi-cercle de montagnes qu’ils voyaient se dérouler autour d’eux, des monts Carduques ou Gordéens, c’est-à-dire Kurdes, aux sommets des monts Zagros, sur le rebord occidental de l’Iran ; c’est, là qu’il faut chercher le Nisir, cité par les inscriptions cunéiformes. D’ailleurs la Bible hébraïque, empruntant sans aucun doute des récits assyriens, dit formellement que les passagers de l’arche « descendirent de l’orient » pour aller habiter les plaines de la Mésopotamie[1].

De ce point de départ le lieu d’échouement se déplace dans tous les sens, suivant la marche des peuples et la propagation de la légende. Vers l’est les Iraniens désignèrent l’Elvend, divers sommets de l’Albordj ou Elburz, le Demavend comme autant de « montagnes de Noé ». L’Afghanistan, le pays de Bokhara ont aussi leurs « descentes de l’arche », et près du Mérou de l’Himalaya se dresse le Nâubendhanam, l’ « Attache du navire » où Manou Vâivasvata amarra son esquif lors de l’inondation universelle. En un mot, toutes les montagnes qui frappèrent assez l’imagination des peuples pour que le mythe en fit la résidence des dieux ou le paradis primitif de l’homme furent en outre, désignées comme les lieux sacrés où l’humanité, purifiée par les eaux, naquit une seconde fois. Dans une autre direction, le Caucase, et, d’une manière toute spéciale, le Masis ou Ararat devinrent aussi des « monts de l’arche » pour les populations des vallées inférieures. Puis, avec la migration des peuples et de tout leur bagage d’histoires et de légendes, la procession des pics sacrés se continua vers l’ouest[2], les massifs les plus rapprochés cachant toujours les reliefs lointains. L’Argée est une de ces « montagnes d’étape », de même l’Olympe de Bithynie et celui de la Thessalie. Jusque dans nos Pyrénées, le puy de Brigue, le Canigou sont dits par les bergers roussillonnais porter encore à leur cime les anneaux de fer qui retenaient l’arche sacrée.

L’Afrique possède également ses Ararat dans le Hadjar Taôus, roc découpé en aiguilles bizarres, qui se dresse près de la rive méridionale du Tzâdé, dans les fécondes plaines alluviales qu’a déposées le fleuve Chari[3]. Enfin des Américains du Nord, grands lecteurs de la Bible et fort jaloux de l’Ancien Monde, ont voulu interpréter les livres sacrés

  1. Genèse, chap. XI, v. 2.
  2. Obry, Du Berceau, de l’Espèce humaine ; Fr. Lenormant, L’Ararat et l’Eden. Les Origines de l’Histoire, tome II.
  3. Denham and Clapperton, Wanderings and Discoveries (voir les cartes 83 et 84, pages 485 et 489).