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l’homme et la terre. — potamie

les deux fleuves ; il les fait s’aventurer au loin pour aller chercher les denrées utiles, en échange des marchandises de leur propre pays. Les hommes apprennent à se connaître et s’entr’aident mutuellement en troquant les produits de leur travail, les idées de leur cerveau.

Telle fut l’importance du poisson symbolique, c’est-à-dire de la navigation et du commerce, dans l’histoire économique et sociale du monde babylonien que la légende lui attribue tout ce qui se fit de grand dans la contrée. Il enseigna aux hommes la pratique des lettres, des sciences et des arts de toute sorte, les règles de la fondation des villes et de la construction des temples, les principes des lois et la géométrie ; il leur montra les semailles et les moissons ; en un mot, il donna aux hommes tout ce qui contribue à l’adoucissement de la vie : « Depuis son temps, rien d’excellent n’a été inventé »[1]. La légende nous dit aussi qu’Oanès était amphibie, à la fois poisson et homme, ayant la tête de l’homme au-dessus de celle du poisson et les pieds humains au-dessous de sa queue ; chaque jour il employait son temps sur la terre, mais au coucher du soleil il plongeait dans la mer pour en ressortir à la résurrection de l’astre. Le sens de ce symbole n’est-il pas simplement que l’origine de la civilisation est double dans le pays des Fleuves, qu’il faut la chercher à la fois dans la terre et la mer, dans l’agriculture et le commerce[2] ?

La légende du déluge, dont on était naguère porté à faire un mythe essentiellement hébreu, parce qu’on l’avait trouvée uniquement dans les livres sacrés des Juifs, est désormais classée, sans aucune espèce de doute, parmi les productions mythiques d’origine chaldéenne. La tablette de la bibliothèque de Ninive spécifie la cité qui doit être submergée : « Churippak, la ville que tu sais, qui était située au bord de l’Euphrate… et les grands dieux, leur cœur les porta à faire le déluge »[3]. Ce que les documents établissent maintenant, la nature l’eût d’ailleurs indiqué d’avance, car pareil mythe n’eût certainement pu naître sur un plateau de terres avides d’eau, comme l’Iran, où toute inondation serait la bienvenue[4] ; ce n’est pas non plus dans les steppes rocheuses qu’avaient traversées les pasteurs hébreux ni dans les régions

  1. Fragments de Bérose, cités par Lenormant, Maspero, etc.
  2. R. C. d’Ablaing van Giessenburg, Evolution des Idées religieuses dans la Mésopotamie, pp. 88, 89.
  3. Jastrow, Religion of Babylonia and Assyria.
  4. F. R. Spiegel, Ausland, n° 10, 1872.