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recherche du jardin d’éden

naïque, ceux de la Maurétanie, du Bétis, des îles Fortunées, sinon d’autres paradis, lieux d’espérance qui remplaçaient les pays du regret ? Puis, dans cette merveilleuse époque où l’on vit le Nouveau Monde surgir sur l’autre rive de l’Atlantique, Colomb lui-même ne déclarait-il pas que le grand fleuve dont les eaux s’épanchent dans le golfe vénézolan de Paria descend du Paradis terrestre, et ce paradis, ne le chercha-t-on pas, sous mille formes, en mille endroits, pour y trouver soit la fontaine de Jouvence, soit les inépuisables trésors de l’Eldorado, « l’Homme doré » ? On le chercherait encore, ce paradis, si la géographie n’avait enfin dressé l’inventaire de la planète et reconnu l’unité des lois dans tous ses phénomènes.

Des multiples suppositions relatives au Paradis, la plus bizarre peut-être fut celle de Gordon, le vainqueur des Taï-ping et le héros de Khartum. Ce soldat fanatique nous décrit l’île de Praslin, dans les Seychelles, comme ayant été l’Eden biblique. Les « quatre fleuves » dont parle l’ancienne écriture ne coulent plus, il est vrai, autour du jardin insulaire, mais qu’à cela ne tienne, ils y coulaient autrefois : l’île se rattachait au continent. Le Tigre et l’Euphrate, parcourant l’espace qui est devenu de nos jours le golfe Persique et la mer d’Oman, venaient se déverser dans l’océan voisin, tandis que le Nil et le Gihon, le torrent actuel de Jérusalem, se réunissaient dans la vallée qu’emplit aujourd’hui la mer Rouge et, contournant Socotora, allaient rejoindre les deux fleuves de la Chaldée. Toutes les autres parties du texte étaient expliquées par Gordon d’une manière analogue : l’arbre de vie n’aurait été autre que l’arbre à pain, le merveilleux nourricier des insulaires, et il faudrait voir l’arbre de la science du bien et du mal dans le fameux cocotier de mer ou Lodoïcea Secheyllarum[1].

Un écrivain plus large dans sa vue d’ensemble géographique ne va pas chercher le jardin de vie en un étroit enclos, en un îlot des mers ; il se demande s’il ne faut pas identifier ce lieu de délices avec le monde connu qu’arrosaient les quatre grands fleuves : le Tigre, l’Euphate, l’Indus et le Nil. Les légendes, qui confondent volontiers le ciel, la terre et l’enfer, n’ont aucun souci de la moindre précision dans les détails. Les quatre puissants cours d’eau étaient probablement ceux qui, dans l’horizon limité des premières sociétés, avaient le plus frappé

  1. J. v. Zaffauk von Orion, Mitteilungen der k. k. geographischen Gesellschaft, in Wien, n° 5, 1900.