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l’homme et la terre. — potamie

exactement cette admirable campagne, restée si belle dans le souvenir des Hébreux qu’ils en firent le lieu de naissance de leur premier père, le jardin d’innocence où le péché était encore inconnu ? On ne saurait identifier la place de cet éden mythique de Chaldée, car les castes sacerdotales des diverses villes rivalisaient de prétentions, et certainement, suivant la migration des cultes, la construction et la destruction des cités, on désigna l’emplacement du lieu sacré en des endroits différents.

Babylone fut l’un de ces points d’élection. L’ancien nom de la ville est Tin-tir-ki, ce qui veut dire incontestablement « le lieu de l’arbre de vie », l’arbre qui occupait le centre du paradis terrestre ; en outre, une des appellations de la Babylonie propre est celle de Gan-Dunyach ou Kar-Dunyach, c’est-à-dire le « Parc » ou « Enclos » du dieu Dunyach, personnage resté dans l’obscurité d’un mythe inexpliqué.

D’autre part, les légendes désignent expressément comme le vrai jardin d’Eden le confluent des fleuves sacrés, le Tigre et l’Euphrate[1]. Un groupe de palmiers, épanouis sur la pointe de Korna, au-dessus de la rencontre des deux courants, marquerait, disent les riverains, l’endroit même où s’élevait l’arbre au fruit redoutable qui nous donna la connaissance du bien et du mal. Les ruines d’Eridu, la « ville du Bon Dieu », peut-être la plus antique cité de la Chaldée, parsèment le sol près du confluent, sur la rive gauche de l’Euphrate. D’après la légende des Musulmans, probablement léguée par les Israélites, le corps d’Adam, l’ancêtre universel, né de la terre rouge, c’est-à-dire du limon de l’Euphrate, reposerait dans les ruines de Kufa, au sud de Babylone, non loin des portes de l’ancien « jardin de volupté » d’où l’avait banni l’épée du chérubin.

De même que le mythe du paradis terrestre s’était déplacé originairement des hautes montagnes de l’orient vers les plaines de la Chaldée, de même il continua sa marche, de campagne en campagne, vers l’occident avec les peuples et leurs cultes. Ainsi, un autre Eden ou paradis fut imaginé entre le Liban et l’Anti-Liban, dans une vallée qui était en effet, d’après Ptolémée, une demeure de « délices ». Et, plus loin vers l’ouest, dans le monde hellénique ou par delà encore, que furent les divers jardins des Hespérides, celui de la Cyré-

  1. Henri Rawlinson Schrader, Lenormant, etc.