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l’homme et la terre. — potamie

que vanité nationale, soit pour s’accommoder plus facilement à des conceptions historiques ou religieuses.

On a même supposé que le pôle Nord pourrait bien être le véritable emplacement du fameux jardin : la région des glaces étant celle qui se refroidit avant toutes les autres, dut nécessairement, d’après l’Anglais E. S. Martin, être le séjour de nos premiers parents. Mais, sans aller chercher le paradis aussi loin des campagnes de la Mésopotamie, il n’est pas moins certain que les traditions mythiques mentionnent une « montagne du septentrion », séjour du seigneur des lumières, du père des génies célestes, source des eaux, axe-pivot sur lequel tournent les cieux.

Les temples pyramidaux de la Chaldée et des autres contrées « potamiennes » avaient pris pour modèle le « haut lieu » par excellence, c’est-à-dire la montagne sacrée du nord, et, comme elle, ils avaient la prétention de s’élever jusqu’au ciel, par-dessus les nuages. Lorsque la légende prit premièrement corps, la montagne était certainement un pic bien connu, une pointe vénérée, une personnalité terrestre, sacrée entre toutes ; mais en s’éloignant du sommet protecteur qu’ils avaient vu se dresser au-dessus de leur berceau, les peuples en oublièrent la place, et dans leurs voyages de migration, ils transférèrent successivement leur adoration de cime en cime. Les pays lointains ayant disparu de leur horizon et même de leur souvenir, ils étaient obligés de situer dans leur voisinage le lieu d’adoration, de le créer même en entier par leur travail acharné. Le Demavend, l’Elvend ou tel autre mont de l’orient iranien avait été d’abord le « Père des contrées ». Et de quel sommet parle le prophète Isaïe[1] en glorifiant le « trône de l’assemblée qui s’élève au-dessus des étoiles du Dieu fort vers le septentrion » ? Peut-être de l’Ararat ou du Caucase. Il n’importe, car la surface de la Terre se hérisse de monts sacrés, et là même où s’étend la plaine rase, on construit des sommets artificiels. C’est donc tentative vaine que de vouloir identifier telle ou telle montagne comme ayant été le temple de toutes les nations à la fois, ou même celui d’un seul peuple, Chaldéens ou Juifs.

Ainsi les pyramides à degrés, et ce qui, de traduction en traduction, et de changement en méprise, est devenu, dans l’histoire des visions

  1. Chap. XIV, verset 13.