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antiquité de l’homme

la frontière de la Puissance, au pied des montagnes Rocheuses ; or, d’après le travail d’érosion que les pluies et les rivières ont accompli à travers ces amas de débris, les géologues ont évalué diversement la période depuis laquelle les glaces du « grand hiver » commencèrent à se retirer vers le nord, abandonnant la moraine déposée obliquement à travers l’Amérique. Les évaluations les plus récentes l’estiment à près de dix mille années avant nous, et Winchell précise en fixant un nombre de soixante-dix-huit siècles[1].

Les alluvions des fleuves — mesure d’ailleurs très incertaine, — ont pu également servir de mètre à la vie de l’humanité. Ainsi l’on aurait trouvé dans le delta du Nil des poteries recouvertes par des couches de dépôts annuels, les uns comptés, les autres évalués seulement, d’après lesquels ces débris du travail humain remonteraient à 15 000 années[2]. Des observations analogues auraient été faites dans les couches alluviales du Mississippi ; mais pareilles constatations sont de nature trop imprécise pour qu’on puisse, avant discussion nouvelle, y attacher grande importance.

Quoi qu’il en soit, les périodes de temps que nous indiquent les observateurs de la morphologie terrestre comme s’étant écoulées pendant les âges de la géologie moderne — retrait des plaines et formation des fleuves actuels — sont bien peu de chose en comparaison des dizaines de mille et des centaines de mille années avec lesquelles jonglent, pour ainsi dire, les archéologues de la préhistoire. Quand ils nous parlent de la durée probable des temps employés par nos aïeux pour s’élever graduellement de l’état de civilisation éolithique à la connaissance des lettres, ils procèdent dans leurs calculs comme si la nature s’était contentée d’un premier essai d’humanité pour le poursuivre sans reprise et sans retouche à travers la succession indéfinie des pithécanthropes et des hommes. Mais qui nous dit que l’énergie terrestre n’a pas dû s’y reprendre à plusieurs fois pour réussir et pousser à l’état viable cette espèce humaine qui, de progrès en progrès, a fini par avoir conscience de soi-même et de tout ce qui l’entoure, au point de pouvoir se considérer comme l’ « âme de la Terre » ?

Un fait est certain, qui témoigne de la très longue durée, de l’exis-

  1. N.-H. Winchell, American Geologist, vol. X, 1892, p. 80 ; Mac Gee, American Anthropologist, vol. V, oct. 1892, p. 337.
  2. Mac Gee, Earth, the Home of Man, p. 15, Anthropological Society of Washington.