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l’homme et la terre. — Caucasie

découpées à leur base. De la percée de l’Euphrate à celle de l’Araxe et de la plaine de la Kura au versant des monts tournés vers le Tigre, le voyageur parcourt une contrée inégale où, sur des espaces de centaines de kilomètres en longueur, il voit de toutes parts un cercle d’horizon dentelé de montagnes. Des géants comme le volcan Alagoz ou « Mont Bigarré » et comme le Masis, plus connu dans le monde occidental sous le nom d’Ararat, dominent ce chaos apparent, mais nulle part de manière à limiter complètement un domaine géographique sans issue facile vers l’extérieur. Le pays présente partout des obstacles, que partout aussi on peut franchir ou tourner. De là quelque chose de vague ou d’imprécis dans l’aspect de la contrée : on ne sait quel nom lui donner parce qu’elle n’a pas de limites naturelles et que de tous les côtés elle se termine par des zones de transition. A l’ouest, la ligne de séparation entre l’Asie Mineure et l’Anti-Caucase est marquée, beaucoup moins par le cours du haut Euphrate ou Kara su, « l’Eau Noire », que par la dépression générale de la contrée, tout le long du méridien qui continue au nord la partie la plus occidentale de la vallée du fleuve.

A proximité du golfe d’Alexandrette, la plaine où se trouvent de nos jours Biredjik et Marach se continue au nord vers la courbe très allongée de la côte sud-orientale du Pont-Euxin par des plateaux relativement faciles d’accès : l’ensemble de la région constitue une coupure assez nette de l’une à l’autre mer et peut être considérée comme formant la racine de la péninsule d’Anatolie. Cependant un écran de montagnes masque au sud cette contrée de transition entre l’Arménie et l’Asie Mineure, et l’Euphrate lui-même, plusieurs de ses affluents, enfin le Djihun coulant vers la Méditerranée ont à traverser cette barrière par d’âpres défilés. Au nord, sur le versant de la mer Noire, d’autres gorges étroites où grondent les rivières correspondent à celles de l’irrégulière série des remparts méridionaux.

Dans leurs hautes vallées, les diverses branches maîtresses de l’Euphrate font partie d’une aire géographique tout à fait différente de celle des plaines d’en bas. L’unité apparente donnée par l’écoulement des eaux entre les régions montagneuses des gaves supérieurs et le cours sinueux des fleuves proprement dits est purement illusoire. La direction même que prennent les deux rivières Muhrad-su et Kara-su pour former le haut Euphrate est celle de l’orient à l’occident, et se