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l’homme et la terre. — Caucasie

par des massifs latéraux, soit par des « petits Caucases » ou arêtes secondaires alignées parallèlement à la grande chaîne, suivant un ordre décroissant d’altitude. Mais dans l’ensemble, la pente est rapide, puisque les cavaliers, galopant dans la poussière de la steppe, aperçoivent en plein ciel, au dessus des forêts sombres, au-dessus des glaces étincelantes, les sommets vaporeux les plus élevés. La plaine basse borde partout le pied des monts, semblable à une mer qui bat la racine des falaises. D’ailleurs cette étendue presque horizontale fut en effet une mer à une époque géologique peu éloignée de nous : en cette dépression des terres s’unirent les golfes avancés de la mer Noire et de la Caspienne, et il en reste même cette admirable coulée du Manîtch à double versant qui est incontestablement, au point de vue de la géographie physique, la fosse divisant l’Europe et l’Asie.

La face du Caucase qui regarde le soleil ne domine que des plaines fluviales limitées par des monts visibles de la grande crête et se rattache à d’autres systèmes de montagnes et de plateaux. Un haut chaînon transversal ayant encore près d’un millier de mètres, au seuil le plus bas, sous-franchi par le chemin de fer de Tiflis à Batum, réunit les massifs les plus élevés du Caucase à l’ensemble des monts que l’on a quelquefois désignés sous le nom d’Anti-Caucase. Au sud des vallées de la Kura et du Rion, tout l’espace compris entre les deux mers est occupé par des hauteurs qui dépassent en maints endroits la zone où peut séjourner l’homme. Quelques très hauts sommets, cônes d’anciens volcans, l’Alagöz, l’Ararat, le Bingöldagh, commandent la région de leurs pointes neigeuses. De distance en distance se dressent les cimes superbes d’où l’on voit le chaos apparent des chaînes qui se profilent, d’un côté vers le plateau d’Iran, de l’autre côté vers le grand quadrilatère de l’Asie Mineure et la côte de la Syrie.

Ce contraste physique entre les deux versants caucasiens se répercute dans l’histoire des nations. Evidemment les hommes de la steppe, cheminant librement devant eux sans autre obstacle que des monticules de sable mouvant, des salines basses, des marais sans profondeur, doivent avoir d’autres mœurs, une autre évolution politique et sociale que les montagnards entourés de tous les côtés par des vallées profondes dont les habitants communiquent difficilement avec d’autres patries. D’un côté, la population aura des tendances à la vie instable et nomade ; elle fera son apparition, puis, refoulée par d’autres migra-