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l’homme et la terre. — origines

depuis que l’homme émergea de l’animalité première. En réalité, l’histoire de la Terre ne comporte qu’une seule période des glaces, celle qui dure encore pour le Groenland et les archipels polaires ; mais, suivant les alternances du climat, la masse congelée avance ou recule, et c’est ainsi que, de saison en saison, de cycle en cycle, chaque lieu de la zone bordière des glaces peut avoir sa « période », se trouver envahi pour un temps, puis se dégager de nouveau.

Les progrès et les reculs de la glace déterminent donc des révolutions pour l’ensemble des plantes et des animaux, qui doivent battre en retraite ou qui peuvent reprendre la marche en avant. Ainsi, chacune de ces oscillations marque une étape très différente dans la civilisation des peuples limitrophes du glacier. Or, si la date des divers avancements du glacier polaire reste encore inconnue, la limite précise que les moraines d’avant-garde ont atteinte dans leur voyage vers le sud est, en maints endroits, marquée de la manière la plus nette : on reconnaît les apports pierreux du « Grand Nord », du Grœnland, du Spitzberg, de la Scandinavie sous les alluvions plus récentes et le tissu des racines de la forêt et du gazon. Les cartes que divers géologues ont dressées en Europe et dans l’Amérique du Nord coïncident d’une manière remarquable et nous montrent combien le domaine du genre humain dans l’hémisphère septentrional se trouvait alors relativement étroit en comparaison de ce qu’il est de nos jours. Il l’était d’autant plus que les grands massifs de montagnes, Alpes, Pyrénées, Caucase, avaient alors des fleuves de glace beaucoup plus étendus et que de moindres saillies, Vosges, Morvan, Cévennes, Carpates, déversaient aussi dans les glaciers leurs courants de glaçons, de roches et de boue.

Prenons pour exemple une des contrées de l’Europe les mieux étudiées par les géologues et les archéologues, la région des Pays-Bas que parcourent l’Escaut et la Meuse dans leurs plaines inférieures. En ces contrées, la coïncidence de périodes industrielles humaines avec des phénomènes d’irruptions glaciaires se serait produite à cinq reprises, nous disent les savants : par cinq fois, pendant cet espace de temps, les glaciers arctiques auraient refoulé les eaux, les forêts et les clairières habitées devant leurs murs de cristal[1].

  1. Rutot, Etat actuel de la Question de l’Antiquité de l’Homme, Bulletin de la Société belge de géologie, 1903.