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l’homme et la terre. — iranie

tenant de siècle en siècle. Les annales mentionnent, il est vrai, les Lur et les Bakhlyari comme assujettis tantôt au Ghaldéens, tantôt aux Assyriens, aux Elamites ou aux Perses ; mais quelques offrandes apportées en grande et respectueuse cérémonie suffisaient à la vanité des suzerains, et ceux-ci, satisfaits de l’hommage, se gardaient bien d’attaquer les Bakhlyari dans leur multiple forteresse aux cent remparts, aux défilés impraticables. Au contraire, les princes akhéménides, dans tout l’éclat de leur puissance, payaient un droit de passage aux Cosséens ou Bakhtyari quand ils voulaient se rendre d’Ecbatane à Babylone ou de Persepolis à Suse[1].

Ces montagnards redoutés restent d’autant plus facilement maîtres chez eux qu’ils ont gardé plus de mobilité dans leurs allures, étant successivement nomades comme pasteurs de bétail, puis résidants fixes comme agriculteurs ; ils transhument du haut en bas de la montagne, plusieurs fois par année, suivant les saisons, et peuvent, à l’occasion, se grouper en troupes considérables ou se disperser comme des chamois entre les précipices. À ce genre de vie ils ont gagné un grand esprit de liberté, un fier sentiment d’indépendance égalitaire qui les portent facilement à mépriser des voisins moins favorisés par la nature. Leur nom de peuple, qui signifie « heureux », « vaillant », « invincible », témoigne des causes qui leur ont valu la liberté et leur ont donné la belle fierté d’allure et la clarté du regard. Ils consentent parfois à servir comme volontaires dans l’armée persane, mais à condition de rester ensemble et de ne pas être distribués en divers régiments. Dès que leurs droits héréditaires sont lésés, ils se mettent en insurrection et souvent ils descendirent en vengeurs sur les cités des alentours. Ils n’accueillent aucun fonctionnaire dans leurs montagnes, mais ils sont très gracieux et prévenants pour l’étranger, et quelques Anglais, même une Anglaise, depuis 1890, ont profité de cette bonne hospitalité pour aller passer chez eux la villégiature estivale.

Quoique les Bakhtyari se ressemblent beaucoup, par suite des conditions du climat et du genre de vie imposé par la nature, quoiqu’on leur trouve « comme un air de famille », ils appartiennent à des groupes ethniques différents, et c’est encore le relief orographique de la contrée qui explique ces diversités. On trouve quatre

  1. Strabon, d’après Néarque, livre XI, chap. xin, 6 ; Arrien, Anabase, VII, 15 ; Perrot et Chipiez, v, 499.