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l’homme et la terre. — iranie

dans la légende chaldéenne, s’étaient assemblés pour dresser la tour de Babel à leur gloire commune.

Ce n’est pas tout : l’Iranie, si importante dans l’histoire de l’Ancien Monde comme faîte naturel de contact et d’union entre les nations de l’Asie occidentale déjà conscientes de leur solidarité, l’est devenue plus encore par sa position particulière comme lieu d’épanchement des peuples qui, vers l’est et vers l’ouest, se servent également de langues dérivées du parler primitif dit « aryen », et dont le génie a pris actuellement la direction générale de la pensée dans l’ensemble de l’humanité. C’est en Iranie que se trouve le lien d’union entre les langages européens et ceux de l’Inde septentrionale. A eux deux, ces groupes glossologiques, auxquels il faut ajouter maintenant les langues introduites d’Europe dans le Nouveau Monde et dans tous les pays de colonisation, comprennent huit cent millions d’hommes, presqu’exactement la moitié de ceux que l’on a recensés sur la Terre, et cette moitié semble devoir se changer bientôt en une proportion de beaucoup supérieure, grâce à la force d’initiative qui appartient incontestablement aux peuples de langues aryennes : partout on apprend à parler, à penser comme eux.

Sans doute le temps n’est plus où l’on professait comme un dogme de l’histoire que les civilisations et les races de l’Europe avaient eu l’Iranie pour berceau commun et unique. L’évolution qui s’accomplit aujourd’hui sous nos yeux, l’adoption d’idiomes aryens comme parlers d’usage par tant de peuples divers, blancs comme les Basques, rouges comme les Iroquois, noirs comme les Haïtiens, nous montre que l’emploi d’une langue n’implique nullement parenté de race et que le domaine primitif de l’aryen, si vaste actuellement, a pu être fort minime ; il s’accrut autrefois comme il s’accroît de nos jours : par l’ascendant de peuples civilisateurs et par l’action de ces francs voyageurs, gens qui traversaient pacifiquement le monde, apportant des objets précieux, des remèdes, des recettes magiques et disant « la bonne aventure ». On peut compter ces professeurs itinérants, dont les Tziganes sont les descendants ou imitateurs peu considérés, parmi les propagateurs des langues actuellement envahissantes. On se demande donc où furent les premiers professeurs des formes verbales qu’emploient ou épèlent un milliard d’hommes. Le patrio-