Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

gueilleux épanouissement, il ne reste que des tombeaux dans les vastes solitudes qui avaient nom Babylone et Ninive. L’Inquisition et l’oppression n’ont-elles pas rapidement remplacé les belles villes espagnoles qui s’étaient développées merveilleusement sous l’influence des Maures par des étendues inhabitées, les despoblados et les dehesas ? Les Tasmaniens, encore au nombre de 7000 lors du premier voyage de Cook en 1770, ont été systématiquement supprimés en une centaine d’années : le dernier homme de cette nation s’éteignit en 1869 et en 1876 la dernière femme ; c’est la mort violente, comme celle qu’ont à subir aujourd’hui les Arméniens. On en est réduit au travail récent de l’induction historique quant au nom des peuplades qui élevèrent des monuments épars depuis les îles du Grand océan jusqu’au continent africain, de l’île de Pâques aux Carolines et à Zimbabué. Combien d’autres civilisations ne se rappellent à nous que par de vagues indices !

L’évolution se produit aussi par le passage de la santé relative à la maladie. L’Egypte n’est certainement pas morte, mais que de changements successifs et de phases douloureuses dans son existence, depuis que nous la voyons apparaître, déjà puissante fille des dieux ! La Grèce, la Chine, l’Inde ne sont plus des nations initiatrices comme à certaines phases de leur histoire, et pourtant les éléments vivaces ne manquent point là comme ailleurs. Que dire d’un pays qui, tout en ayant perdu sa liberté, voit sa population augmenter rapidement ?

Un troisième processus dans la marche de l’histoire nous montre le passage d’une forme d’évolution à une autre. Ainsi le rayonnement de la Rome actuelle est d’un tout autre ordre que l’action extérieure exercée successivement par la Rome antique, la Rome impériale et la Rome papale. Nous avons ici un exemple typique de la vitalité d’un organisme qui retient des éléments de santé dans sa grave maladie et qui renaît à nouveau après avoir semblé à l’agonie.

Il y a enfin intervolution, c’est-à-dire que, par la force des choses, certains peuples subissent aujourd’hui fatalement une interpénétration réciproque, qui, pour ainsi dire, leur insuffle une nouvelle vie. Ainsi les peuples latins, dont il est de bon ton de déplorer la décadence, fussent-ils réellement déchus, ne pourraient manquer de retrouver le bel équilibre de l’homme en santé par la seule cohésion avec leurs voisins réputés supérieurs. La civilisation européenne se voit infuser