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l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

Toutefois, il faut dire que cette spirale est de forme bien peu géométrique et que chaque événement vient en infléchir la courbe. Il arrive aussi, dans les périodes locales de retour vers la barbarie, que les spires se rétrécissent au lieu de gagner en ampleur. Le rythme des événements se conforme donc à des lois très complexes, et c’est par une simple figure de langage que l’on peut se permettre de l’assimiler à une oscillation ou giration régulière. Ce qui est vrai, c’est que, à bien des égards, les divers groupements d’hommes, tribus, nations, Etats, présentent des phénomènes de vie comme les animaux et les plantes : ils naissent, se fortifient, déclinent, meurent, et l’étude approfondie indique pour tous ces phénomènes des causes que l’on peut classer en catégories d’une manière générale, bien que les diverses sociétés s’enchevêtrent les unes dans les autres et que les institutions, les religions, les morales, les civilisations empiètent naturellement sur leurs domaines respectifs. Grâce à cette étude comparée, certaines évolutions d’une société permettent donc de prédire par analogie quelles en seront les conséquences inéluctables.

Les conditions les plus favorables au développement d’un groupe humain, peuplade ou peuple, consistent pour celui-ci à vivre en paix, mais non isolé, en échanges fréquents de visite avec des hôtes, en relations actives avec des voisins, chaque individu ayant d’ailleurs sa part de terre et de travail. Alors il n’existe aucune raison pour que la liberté et la valeur du groupe s’amoindrissent ; celui-ci a même de grandes chances de se développer normalement et de progresser en intelligence et en moralité.

Au contraire, lorsqu’une société se trouve engagée en des guerres acharnées, elle a tout à craindre et fatalement le malheur l’atteindra. Vaincue, elle devra s’humilier, s’avilir, flatter le vainqueur qui la décime et l’appauvrit ; victorieuse, elle acclamera ses chefs triomphants, les élèvera au-dessus des autres citoyens, leur donnera des privilèges et par conséquent des occasions de mal faire ; une ère de réaction s’en suivra certainement qui peut-être ira même jusqu’à la proclamation d’un cacique des caciques, d’un César, d’un maître absolu, confisquant à son profit les libertés de tous. Le mal sera d’autant plus grand et plus durable que la nation favorisée par le dieu des batailles aura augmenté la surface de son territoire, soit par des conquêtes immédiates, soit par des colonies, et sera devenue maîtresse de