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l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

droite vers cet angle de la Méditerranée où se trouve l’île de Cypre. Plus au nord, toutes les rivières, tous les chemins de commerce qui descendent de l’Anatolie, de l’Asie antérieure et des plaines sarmates à la mer Noire deviennent des affluents des mers helléniques à travers le Bosphore et l’Hellespont. Même la grande péninsule anatolienne se divise en petites presqu’îles secondaires enfermant les bassins qui tous s’inclinent vers la Grèce.

Ainsi le merveilleux cosmos de l’Attique, du Péloponnèse et des terres adjacentes devint, grâce à la convergence des voies, le point de rencontre nécessaire de toutes les civilisations asiatiques et le foyer d’élaboration et de renouvellement de tous ces éléments premiers par les nations helléniques. Tel fut, décrit en quelques phrases sommaires, le contraste historique des deux moitiés du monde durant les premiers âges où pénètre notre regard.

La façon courante d’envisager l’histoire est essentiellement égocentrique, c’est-à-dire qu’elle a pour raison d’être l’importance exceptionnelle donnée par l’écrivain à sa propre patrie. Chaque nation, considérant le pays natal comme le vrai centre de la Terre, s’imaginait volontiers que toute histoire devait débuter par celle du « peuple élu ». Tel autrefois le Juif ; tel aussi le Chinois. Cette manière de voir a dû naturellement céder à une plus large compréhension des choses ; mais, sous l’influence d’un même mobile de vanité collective, d’étroitesse d’esprit relative, des auteurs professent encore des idées très partiales sur la marche de l’histoire. C’est ainsi que nombre d’écrivains nous disent que « la civilisation se meut de l’Orient à l’Occident suivant le mouvement du soleil ». Ils ont évidemment dans l’esprit le développement spécial des nations de langues aryennes, suivant un itinéraire plus ou moins sinueux, se dirigeant du plateau d’Iran vers les bords de la Seine et de la Tamise.

On a même voulu dessiner sur les cartes cet axe du progrès et préciser en chiffres la mesure des étapes[1]. Toutefois les exemples abondent et surabondent pour démontrer que la marche de la civilisation n’est point réglée avec cette fatalité, et que très fréquemment l’histoire s’est orientée en sens inverse. Etant donnée une région centrale avec

  1. R. Brück, L’Humanité, son Développement et sa Durée.