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l’homme et la terre. — divisions et rythme de l’histoire

poèmes vedas, pointe vers le sud-ouest ; les courants unis de la Ganga et du Brahmaputra s’unissent dans le labyrinthe de leur delta en coulant directement vers le sud ; les fleuves de l’Indo-Chine se dirigent vers le sud-est, tandis que les rivières de la Chine, et avec elles le mouvement de la civilisation, descendent vers la mer orientale. Ainsi les diverses activités de ces contrées sont animées pour ainsi dire d’une force centrifuge : elles n’ont point de foyer naturel ; de plus la péninsule indo-chinoise, située au creux du monde oriental, constitue plutôt une barrière de séparation qu’un terrain de rencontre entre les Chinois et les Hindous : ses chaînes de montagnes parallèles, partiellement habitées par des tribus sauvages, sont autant d’obstacles intermédiaires. D’autre part, le plateau du Tibet, où sembleraient devoir passer les chemins naturels entre la Chine et la presqu’île gangétique, et qui, au point de vue géométrique, renferme le véritable milieu des terres sud-orientales de l’Asie, prolonge ses crêtes neigeuses à de telles hauteurs et sous un climat si dur que ses populations clairsemées sont obligées de se mettre à l’abri dans les profondes vallées qui fissurent le sol.

Au nord-ouest, le monde oriental est limité par les traits de force des hautes arêtes neigeuses et, en beaucoup d’endroits, par des espaces arides presque inhabitables. Les lignes de communication avec le monde occidental, toujours précaires et souvent interrompues, passaient par des cols périlleux de montagnes ou par de longs détours à travers les steppes sibériennes ; en outre, des voies maritimes, fort détournées et connues seulement de quelques navigateurs, se dirigeaient vers les contrées de l’Occident, soit en longeant les côtes presque désertes du Mekran actuel pour entrer dans le golfe Persique, soit en passant par l’étroite porte de la mer Rouge et contournant la péninsule d’Arabie, également pauvre en « points d’eaux », nécessaires à une navigation débutante.

C’est ainsi que par minces filets, presque goutte à goutte, la quintessence de la civilisation avait à se distiller avant de pouvoir atteindre le torrent de la culture occidentale. Mais, par un remarquable contraste, les veines par lesquelles devait se faire cet épancheraient d’un monde à l’autre sont disposées précisément en sens contraire des voies historiques de l’Asie extrême. Tandis que celles-ci s’épanouissent largement et n’ont pas d’autre aboutissant commun que l’immense ceinture