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civilisations orientale et occidentale

Une conception pareille, qui donnerait aux Occidentaux une incontestable supériorité, ne repose évidemment que sur le souvenir du long antagonisme entre populations projetées les unes contre les autres par la guerre ou par les intérêts commerciaux, aux diverses époques de leur vie politique et sociale ; en réalité la simple constatation des faits a été prise pour une explication. Entre une civilisation décadente et une société en pleine voie de croissance, les conditions ne sont pas égales : pour les juger en équité parfaite, il faut se placer à des périodes correspondantes de leur vie collective. Il serait injuste par exemple de comparer les États-Unis dans leur triomphante jeunesse à la Chine dans son âge de sénilité. En écartant donc cette prétendue différence essentielle des races, il faut étudier les conditions telluriques du monde oriental et y chercher les causes du retard de son développement comparé aux progrès de l’Occident.

En premier lieu, le Grand océan, avec ses milliers d’îles, n’a pour son immense étendue liquide qu’une très faible proportion de terres émergées en dehors de l’aride continent australien ; les centres de civilisation, tels que Samoa, Tahiti, les groupes de Tonga et de Fidji, séparés les uns des autres par de longues distances et n’ayant qu’une faible population, ne pouvaient exercer une influence considérable, les archipels étaient trop étroits pour donner naissance à un grand foyer de rayonnement intellectuel. La Nouvelle Zélande, assez vaste pour devenir la demeure d’une nation puissante, se trouve trop en dehors des voies historiques dans les mers solitaires du sud ; d’ailleurs, elle ne fut colonisée que tard, et peut-être trente générations à peine s’y sont-elles succédé.

Quant aux îles équatoriales, de Bornéo à la Papouasie (Nouvelle Guinée), elles sont grandes et très favorablement situées à l’angle sud-oriental du continent d’Asie, dans l’axe du mouvement général de la civilisation, mais la richesse même de leur végétation forestière et les facilités de l’existence permirent aux aborigènes de se maintenir dans leur isolement primitif, et la plus grande partie de ces archipels magnifiques fut ainsi laissée en dehors de la marche du progrès. Les aventuriers malais, aussi bien que les colons de races différentes, se contentèrent d’occuper les rivages maritimes. L’intérieur resta inexploré, et même se trouva parfois complètement fermé par l’épais-