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morale

légués par la guerre, elle contribue à différencier les morales particulières de nation à nation : « Vérité en deçà, erreur au delà ! »

Ainsi les religions, bien que d’origine secondaire relativement à la morale, ont souvent exercé une influence considérable Sur les morales qui leur correspondent. Mais si l’on prend le terme de « morale » dans le sens restreint — le plus usuel — de conduite absolument conforme à l’altruisme, il est certain que la religion n’a pu avoir sur elle aucune action, si ce n’est pour l’obscurcir ou la dénaturer, en troublant les rapports naturels entre les êtres vivants. Ces rapports sont primordiaux : la morale d’altruisme est aussi ancienne, plus ancienne même que l’humanité.

Il est vrai, les animaux n’ont pu se répéter les fameuses règles formulées par les Buddha, les Confucius et les Christ : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fit » et : « Faites à autrui ce que vous désirez qui vous soit fait », ou mieux, « ce qu’il désire qu’on lui fasse » (André Lefèvre). Mais s’ils n’avaient pas la parole nécessaire pour se prêcher cette morale les uns aux autres, ils ont su la pratiquer. Le dévouement complet, le sacrifice de la vie à l’être aimé ou à la communauté des parents et amis se retrouvent dans l’histoire ordinaire de maint groupe animal, de la fourmilière au nid et de la couvée aux familles supérieures. Ainsi que le dit excellemment un historien philosophe, « l’équité et la bonté, voilà les deux piliers de l’équilibre moral ; pareils à cet olivier dont Ulysse avait fait le pied de sa couche nuptiale, ils ont pris racine quand se forma la première tribu, et nulle tempête ne les déracinera »[1].

L’entr’aide, dans toute son ampleur, telle fut, au milieu des infinis dangers de l’existence primitive, la sauvegarde des malheureux et de la race elle-même. L’homme a tellement besoin d’entr’aide que, solitaire, il se crée deux personnalités qui s’interrogent et se répondent et que le globe, ne se suffisant plus à lui-même, s’associe jusqu’aux radiants célestes et ajoute à ses propres forces celles de l’univers !

Nous vivons les uns par les autres, tout en puisant la force initiale en notre propre individu ; ce fut toujours une prétention naïve, enfantine, ou bien une chimère de désespéré que de vouloir, chacun pour

  1. André Lefèvre, Religions et Mythologies comparées.