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fétichisme

par la résistance du peuple « jaune » à la brutalité de l’ingénieur européen qui vient sans respect, insolemment, bouleverser la terre sacrée et en violer les esprits. Chez nous, Européens, quelle révolution dans le monde social si les enfants étaient soudain privés de leurs poupées ?[1]


ex-voto en fer forgé a saint-léonard (tyrol)
Le naturisme est cette religion qui naît spontanément de la croyance aux génies, innombrables représentants des forces agissantes de la nature : tout vit, ainsi qu’en témoignent la plupart des langues ; elles donnent un caractère sexuel : « il », « elle » à tous les objets. Avant l’invention du neutre, qui est d’origine moderne, toute forme extérieure était représentée par un substantif masculin ou féminin[2].

A ces âmes de la Terre qui assiègent l’homme de toutes parts se joignent les âmes de ceux qui ont vécu, de ceux qui ne sont pas encore : le « naturisme » devient « animisme » ou plutôt se confond avec lui, car la mort frappe incessamment autour d’elle, et les souffles mystérieux, les « âmes », les « esprits » des êtres expirants vont se confondre avec les énergies, de nature également inconnue, qui sortent de la terre et des arbres.

L’homme se voit constamment environné par ces forces de diverse origine, mais de pouvoir égal : toutefois, les maladies, la mort intervenant dans son existence par de soudaines et parfois terribles apparitions, il se laisse facilement porter par son instinct à reconnaître en elles les plus redoutables déesses. Les Géorgiens traitent les fléaux pestilentiels de « grands seigneurs », et s’adressent à eux en un langage flatteur[3].

  1. J. Lubbock, Anthropological Review, oct. 1869.
  2. Max Müller, Essais de Mythologie comparée, trad. G. Perrot, p. 72.
  3. Sakhokia, Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, séance du 16 avril 1904.