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l’homme et la terre. — origines

nos ancêtres préhistoriques. Il est même possible que l’on arrive un jour à fixer d’une manière générale la succession des périodes chronologiques dans le développement de ces populations primitives, et maintes fois on l’a tenté déjà : du moins les archéologues peuvent-ils dérouler la série des âges de la préhistoire avec une ampleur et une logique supérieures à celles des écrivains qui, sous le flot des détails de l’histoire écrite, cessent d’apercevoir le mouvement des idées maîtresses.

La préhistoire, comme ensemble d’études rattachant l’homme actuel à l’homme d’autrefois et nous permettant d’assister à l’évolution continue pendant le temps, constitue une science d’origine très récente : la proclamation officielle de sa naissance ne date que de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, alors que Lyell, dans les congrès anglais, établit comme fait indiscutable l’existence de l’homme et de son industrie pendant la période quaternaire, c’est-à-dire à une époque où les terres et les eaux étaient autrement distribuées que de nos jours et où prévalait un climat différent. Mais, avant que la vérité eût ainsi forcé les portes des congrès et des académies, nombre de travailleurs isolés, de penseurs indépendants avaient déjà nettement reconnu les restes d’un âge de pierre et en avaient interprété le sens.

Dès la première moitié du seizième siècle, le Romain Mercati avait constaté la véritable nature des armes et des instruments que l’universel préjugé désignait sous le nom de « pierres de foudre », et, deux siècles plus tard, Antoine de Jussieu publia un mémoire décisif devançant de cent cinquante années la science officielle[1]. Buffon prononça aussi quelques paroles témoignant de ses pressentiments à cet égard.

Et tandis que Cuvier et ses disciples se mettaient obstinément en travers de tous les novateurs qui n’admettaient pas humblement les dogmes de la science estampillée, la foule des observateurs, que l’étude des terrains amenait à reconnaître des fossiles de l’homme et les témoignages de son industrie à l’époque quaternaire, devenait de plus en plus nombreuse et active. Les Aymard, les Ami-Boué, les Tournai, les Schmerling, les Ghristol, les Marcel de Serres et les Boucher de Perthes triomphèrent enfin de l’obscurantisme représenté par l’école d’un savant qui pourtant avait, lui aussi, laissé un magnifique héritage

  1. Hamy, Précis de Paléontologie humaine ; — Fr. Lenormant, Les premières Civilisations.