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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

En réalité, chaque peuple se laisse aller volontiers à doter les êtres vivants de ses propres croyances. Les conciles chrétiens conjuraient les bêtes au nom de la « très sainte Trinité », et la mythologie du moyen âge, faisant des animaux les interprètes de la Vierge ou de Satan, des saints ou des démons, leur attribuait toujours la plus sûre connaissance de la « sainte religion ».

De même, les Péruviens, fils des Quichua et des Aymara, qui furent eux-mêmes les adorateurs du dieu Soleil, ont assez gardé leur ancien culte pour s’imaginer que les Hamas, leurs animaux de charge, ne manquent jamais, au moment où l’astre se lève, de se tourner vers lui et de le saluer par de légers bêlements. Trop timides pour oser, en présence des prêtres venus d’outre-mer, se prosterner devant l’orbe sublime qui fait soudain resplendir les monts, les Andins se donnent leur doux compagnon de voyage pour suppléant dans cette œuvre religieuse[1].

Les caravaniers musulmans de la Perse et de l’Arabie, ayant remarqué que les animaux du convoi, chameaux, chevaux et mulets, s’arrêtent soudain au moment où ils entendent la voix du muezzin qui, en tête de la caravane, sollicite les fidèles à la prière, en concluent que les bêtes elles-mêmes connaissent leur devoir envers Allah[2].

Mais sans recourir aux fables, il suffit d’étudier les bêtes avec lesquelles nous vivons, pour voir fonctionner en elles le sentiment religieux presqu’aussi nettement que chez les hommes. Sans doute, elles n’ont pas la parole pour exprimer leurs sensations, mais n’ont-elles pas les mouvements du corps, les gestes, les regards, les mille intonations de la voix, et ce frisson mystérieux qui fait comprendre soudain les sentiments et les pensées ? Il est certain que parmi les « candidats à l’humanité » le chien, le chat, le cheval, les animaux domestiques partagent souvent les frayeurs subites dont l’homme, le chef de la famille, se trouve atteint : êtres religieux comme leur maître, ils éprouvent aussi la terreur de l’inconnu, et leur imagination suscite des fantômes ; ils cherchent à remonter de l’effet à la cause, mais ne savent pas interpréter l’événement et s’en donnent des explications qui les effraient[3].

  1. P. Germain, Actes de la Société scientifique du Chili.
  2. Hermann Vâmbéry, Sittenbilder aus dem Morgenland.
  3. Girard de Rialle, Origine des Religions.