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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

sommet de l’Olympe ou du Mérou un maître suprême, un dieu unique, à la fois créateur, conservateur, destructeur. Ainsi, par une étrange contradiction, les bouddhistes, dont la doctrine ou plutôt les doctrines diverses témoignent d’une étude si consciencieuse et si approfondie de la nature présente et du monde de l’au delà, ont été déclarés antireligieux, parce que l’excès même de leurs sentiments éveillait en eux le désir de se perdre dans l’infini des choses.

Certainement il est des tribus ou populations qui, vivant dans un milieu favorable de paix et de bien-être, ont été relativement peu soucieuses des mystères de la vie et de la mort et, jalouses de leur liberté, n’ont pas laissé se constituer au-dessus d’elles une caste de prêtres, mais elles n’en étaient pas moins composées d’ « animaux religieux »[1], comme tous leurs congénères humains. Par cette définition d’animal religieux donnée à l’homme, de Quatrefages avait l’intention de constituer un « règne humain » bien à part, suspendu, pour ainsi dire, entre le ciel et la terre ; mais du même coup les « frères cadets » de l’homme se trouvèrent emportés avec leur aine. Nombre de philosophes modernes, entr’autres Comte, sont disposés à admettre la religiosité de l’animal, au moins dans une mesure étroite, et Tito Vignoli reconnaît l’origine du mythe chez l’animal aussi bien que chez l’homme[2].

Les ouvrages anciens sont remplis d’historiettes ou de graves récits montrant combien nos ancêtres croyaient à la ressemblance originaire des conceptions chez tous les êtres organisés. Les bêtes passaient pour nos égales à tous les points de vue ; elles pouvaient être même nos supérieures, puisque plusieurs d’entre elles furent choisies comme objets du culte. N’adora-t-on pas chez mille peuples du monde, et notamment dans le pays africain de Ouida (Whydah), le serpent qui naît de la Terre et qui, s’enroulant en cercle, se mordant la queue, devient l’être qui ne finit point, le symbole de l’Eternité ? Dans la légende hébraïque, le serpent représente l’intelligence même, la science du Bien et du Mal. Dans les religions hindoues, si riches en transformations et en avatars de toute espèce, de la plante à l’animal et de l’animal au dieu, n’est-ce pas Ganesa, c’est-à-dire l’Eléphant, qui est devenu le type de la sagesse, et, dans l’île de Bali, n’en a-t-on pas fait, avec

  1. A. de Quatrefages, L’Espèce humaine, pp. 349 et suiv.
  2. Tito Vignoli, Myth and Science.