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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

sur les fleuves fit du guarani une langue qui mérita d’être appelée lingoa géral. Enfin, dans l’Amérique septentrionale, les langues des Peaux-Rouges étaient en guerre comme les tribus elles-mêmes, et l’on constate que plusieurs d’entre elles semblaient en voie de disparition : en Californie, dans l’Orégon, sur tout le versant du Pacifique, la pression des conquérants a poussé les nations indiennes dans un espace de plus en plus rétréci.

De même que la langue transmet fugitivement la pensée émanée du groupe, la main cherche à la défendre, à la maintenir, à l’éterniser même, puisque partout nous trouvons des signes gravés : marques symboliques, pictographies, hiéroglyphes, dont l’aboutissant est l’écriture où les traits répondent aux sons. Tous les archéologues nous rapportent des dessins rupestres, élémentaires pour la plupart, mais d’autant mieux choisis pour répondre à des idées simples. La croix, le cercle, la cupule, la grecque, le labyrinthe se retrouvent partout[1] : mais le difficile est de trouver la filiation entre les premiers signes et nos alphabets. Les Indiens de l’Amérique du Nord, les Quichua avec leurs nœuds de cordes, les Dahoméens de la Guinée avec leurs sécades ou signes inscrits sur des fragments de calebasses entretenaient des correspondances très vives et très détaillées à travers tout le pays.

Chez tous les peuples, la langue fut dite de tout temps et à bon droit « maternelle » : les mères furent toujours les patientes éducatrices de l’enfance. Le père se tait, mais la mère répète les mots, elle fait le perroquet pour encourager l’enfant à le faire aussi. La femme fournit le premier vocabulaire, le premier cahier de chansons, le premier recueil de contes ; c’est elle qui conserve et permet ainsi de développer toutes les acquisitions de l’humanité. Et de plus « tout ce qu’il y a de vraiment indispensable pour la conduite de la vie nous a été appris par les femmes, le sourire, les beaux gestes, la politesse, l’art de plaire »[2].

Les influences directes du sol et du climat que l’homme subit en premier lieu et qu’il apprend à combattre en créant et en développant des industries, en accommodant diversement son genre d’existence à des milieux différents, en s’entr’aidant d’individu à individu,

  1. Georges Courty, Sur les signes rupestres de Seine-et-Oise ; Charles Letourneau, passim, etc.
  2. Remy de Gourmont, Le chemin de velours ; Patrick Geddes.