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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

détail par mille initiatives locales, mais ce n’en furent pas moins des œuvres d’une importance de tout premier ordre dans le développement de l’humanité.

Différents par les mœurs et les coutumes, la couleur et la nuance de la peau, le crâne, la structure des organes participant à l’émission de la voix, les groupes humains que le milieu découpait en hordes, tribus et nations se sont trouvés si parfaitement isolés les uns des autres que la bouche ne s’est plus accommodée à prononcer les mêmes sons ni l’oreille à les percevoir. Les langues se sont créées comme s’étaient formés les types nationaux et, comme ces mêmes types, elles ont cherché leur état d’équilibre, les unes pour se maintenir simplement, les autres pour gagner peu à peu en extension.

Autour du monde historique actuel constitué par les civilisations conscientes, se dessine le monde préhistorique des langues non écrites, ou recueillies seulement par les sociétés d’évangélisation religieuse françaises, allemandes, anglo-saxonnes surtout ; et ces divers parlers, dont le nombre s’élève à plusieurs milliers, évoluent très diversement suivant les conditions qui les entourent : soit l’isolement, soit les relations amicales avec le voisinage, soit les pressions latérales qui les forcent à se déplacer, à se transformer, même à périr.

En Océanie, dans les terres si nombreuses de l’Insulinde, la lutte s’est produite entre les langues générales à grande extension, telles que le maori, le malais et les idiomes locaux. Le contact, les échanges commerciaux ayant eu pour conséquence définitive d’unir, d’unifier les individus, il se trouve qu’après des millions d’années d’intercourse, les grandes langues de trafic ont étendu leur aire sur de grandes surfaces ; cependant il ne manque pas de petites tribus, à Célébès, dans la Nouvelle-Guinée, en Australie, possédant chacune, comme des nids d’oiseaux, leur parler différent. De même, dans le continent d’Afrique, de grandes langues conquérantes, l’arabe, le suaheli, le haoussa, divers idiomes bantou, et maintenant les jargons anglais et autres sabir l’emportent graduellement sur les langages naturels, mais que de petites communautés où l’on se comprend encore par des mots inconnus ailleurs !

L’Amérique méridionale est le continent où la population primitive est encore le plus clairsemée et où, par contraste, la série des