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liberté et oppression

de paix et de liberté ; mais lorsqu’un conquérant les ramassait en une horde, c’est-à-dire en un « camp de guerre », ou bien que, refoulées en masse par quelque révolution de la nature ou de l’histoire, elles étaient forcées par contre-coup de se déverser violemment sur le monde, tout changeait brusquement dans leur genre de vie et dans leur influence sur les autres hommes.

Il n’est pas de fléau comparable à celui d’une nation opprimée qui fait retomber l’oppression, comme par une fureur de vengeance, sur les peuples qu’elle asservit à son tour. La tyrannie et l’écrasement s’étagent ainsi, se hiérarchisent dans l’immensité des foules, ayant à leur tête un maître universel, à leur base une masse avilie d’esclaves, et comme intermédiaires une tourbe de gens, subordonnés d’une part, surimposés de l’autre, infligeant rageusement à leurs inférieurs les avanies dont ils ont eux-mêmes à souffrir.

L’organisation politique d’un ensemble considérable d’hommes dépend en très grande partie de leur nombre, car la domination d’un maître mystérieux sur des inconnus par l’intermédiaire de « lieutenants », de « proconsuls », de « vice-rois » est d’un maintien beaucoup plus difficile que les privilèges d’un camarade, d’un compagnon d’existence sur les centaines ou même les milliers d’hommes de son entourage.

Il est de toute évidence que les vicissitudes, les révoltes locales n’ont qu’une faible valeur historique en comparaison de révolutions embrassant des nations entières par une série de réactions directes ou indirectes. De là le rôle capital accompli dans l’évolution par tous les faits qui rompirent l’isolement des tribus, pour les mélanger avec d’autres sociétés, rapprochées ou lointaines, ou les unir en une seule masse par des fédérations ou des conquêtes. Les changements du relief et des contours terrestres provenant de commotions volcaniques, d’écoulement de laves, d’écroulements, d’inondations, de tempêtes eurent leur part dans le déplacement des peuples et leur remaniement, ainsi que les contagions et les fléaux de toute espèce, les guerres, les poursuites et les retraités.

Les découvertes de passages à travers les montagnes, les savanes, les forêts, les fleuves, les bras de mer furent aussi au nombre des grands événements survenus dans la préhistoire. Il est vrai que ces derniers faits durent pour la plupart passer inaperçus, s’accomplissant en