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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

par héritage : le « père » peut le devenir par l’entremise d’un serviteur ou d’un parent ; jusqu’après sa mort, il acquiert des enfants légitimes par l’institution du « lévirat » qui oblige le frère à épouser la femme du frère défunt.

Outre la guerre, fait capital dans la fondation de cette première famille patriarcale, les autres conditions du genre de vie contribuèrent à la prise de possession du pouvoir par l’homme. Chez les groupes vivant uniquement de la chasse, le mâle porte la nourriture au logis, tandis que la femme n’a qu’à garder les enfants à la maison et à s’occuper des travaux du ménage. Il est donc inévitable qu’en une pareille situation le père jouisse de la plus grande autorité : dieu dispensateur de la chair et du sang, il peut se figurer qu’il a, de la part des siens, quelque droit à l’adoration. Chez les peuples nomades, les mâles, étant les plus forts, ont à capturer, à dompter et à tuer le bétail ; ils prennent aussi tous les droits sur les femmes plus faibles, désignées par la nature pour la préparation des mets, pour le soin des enfants de l’homme et des petits de la bête. Le patriarcat, toutes choses égales d’ailleurs, doit en conséquence s’aggraver singulièrement chez ces pasteurs, surtout lorsqu’ils sont en même temps des guerriers et cherchent à s’asservir d’autres populations. Chaque nouvelle fournée de captifs réagit sur la famille du vainqueur et rabaisse en proportion les droits de l’épouse.

Par suite de la lutte entre les deux principes, dérivés, l’un de la solidarité naturelle entre l’enfant et la mère, l’autre de la violence exercée par les capteurs mâles, les deux types de mariage, le matriarcat et le patriarcat, se sont développés côte à côte dans la série des âges et suivant les vicissitudes des hommes, prenant ou perdant en force relative, sans jamais garder comme institution le point d’équilibre, qui est la parfaite égalité de droits entre les individus, et par conséquent entre les sexes.

Cependant, à Sumatra, les trois formes de mariage étaient nettement reconnues : le jugur, par lequel l’homme achetait la femme ; l’ambet-anak, pas lequel la femme achetait l’homme, et le semando ou ménage des égaux[1].

De même chez les Hassanyé et les Hamites du Haut-Nil, on

  1. J. Lubbock, Origines de la Civilisation.