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patriarcat

le matriarcat ni le patriarcat, mais un système double de polygamie et de polyandrie, un retour savant vers la promiscuité, mais sous une forme strictement réglée, entre propriétaires associés. Il a fallu tout un mélange d’astuce et de dépravation théologiques pour arriver à de pareilles combinaisons. Les types sociologiques sont aussi entremêlés que les races.

Le patriarcat, qui, sous diverses formes, en dehors de l’union libre, est devenu le type presque universel du mariage dans les sociétés modernes, a dû, comme le matriarcat, prendre ses origines non seulement dans la préhistoire, mais encore dans la préhumanité. La différence des milieux et de l’évolution a fait surgir nécessairement des divergences de détail fort nombreuses : toutefois on peut dire, d’une manière très générale, que le matriarcat s’explique par un fait naturel, « la naissance de l’enfant », et que le patriarcat a pour origine un acte de force, l’enlèvement, la conquête, faits d’ordre historique[1].

Ce n’est donc point, comme l’imagine Mac Lellan, par suite d’une évolution lente que le patriarcat a succédé aux premières formes matrimoniales du groupement naturel des enfants, mais, au contraire, cette institution provient de causes violentes, d’événements brusques, et l’évolution a été tout à fait distincte, indépendante, ce qui n’a pas empêché des combinaisons et des mélanges à l’infini entre les deux types de mariages.

L’origine de la première « famille » dans le sens patriarcal, famille bien différente de celle que l’on entend de nos jours par ce mot, fut exactement la même que l’origine de l’État. Le chef vainqueur s’empare d’un pays et de tous les habitants qui s’y trouvent : c’est un fondateur d’Empire. Chaque guerrier qui fait partie de la bande conquérante a sa part de butin, terre, choses et hommes. Tout ce qui obéira désormais en qualité d’esclave ou de concubine fait partie de la « famille », terme qui désigna primitivement l’ensemble des biens, meubles et immeubles, enfants et serviteurs[2].

Et le pater familias lui-même, le maître de la famille, n’était point à l’origine considéré comme le géniteur, mais uniquement comme le protecteur de tout le petit État qui lui était échu par conquête ou

  1. Ludwig Gumplowicz, Neue deutsche Rundschau, vol. 1, 1895, p. 1143 et suiv.
  2. Michel Bréal et Anatole Bailly, Dictionnaire étymologique latin.