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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

comme volonté dans la famille, n’avait point à combattre une opinion hostile en prenant successivement, ou à la fois, plusieurs favoris : reine, elle n’avait qu’à choisir. Mais son cœur étant volontiers fidèle conservateur des premières impressions, elle prenait d’ordinaire, même en pleine polyandrie, l’habitude de maintenir la cohésion familiale, en se donnant pour époux communs tous les fils d’une même mère. C’est la forme du mariage qui prévalait jadis au Tibet — le pays des Bod — et chez toutes les populations de même origine.

La polygynie est, dans le patriarcat, l’institution correspondante à celle de la polyandrie dans le matriarcat. Toutefois le contraste n’est pas toujours absolu entre les deux types de mariages que caractérisent la domination des mères et celle des pères. Ainsi l’exemple que les auteurs se plaisent à citer comme témoignage de l’ancien matriarcat indique pourtant la transition entre les deux systèmes : Draupâdi, l’épouse des cinq fils de Pandu, est bien la « reine », mais non la maîtresse de la famille ; tout en s’étant donné plusieurs maris, elle n’a point gardé le gouvernement de la maison : elle obéit. La forme patriarcale se mêle donc, en ce cas particulier, à la forme matriarcale.

Un autre exemple que l’on cite volontiers est celui des Naïr de la côte de Malayalam ou Malabar ; mais dans ce cas également, les deux régimes se sont entremêlés. Il est vrai : les femmes naïr, appartenant à l’ancienne nation guerrière et dominatrice, choisissent et varient leurs époux, mais elles sont tenues de les prendre parmi les brahmanes, la caste envahissante venue du nord, armée de science et de ruse, habile à gouverner en s’abritant sous les hommages rendus à une suzeraineté officielle.

Les types de ces unions varient suivant l’influence plus ou moins grande des éléments ethniques représentés, mais tous offrent le caractère d’un compromis entre des institutions diverses et s’agencent d’une manière bizarre et compliquée. L’exemple le plus original de pareils mariages est peut-être la « grande union » collective : époux brahmanes et femmes naïr se groupant en sociétés de plusieurs individus, même de douze par sexe, dont chaque membre, homme et femme, a droit sur les autres membres du sexe opposé[1]. Ce n’est ici ni

  1. Mac Lellan, Primitive Marriage.