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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

combattaient jadis pour conquérir ou garder la proie d’amour. Mais les institutions, comme les peuples, ont de multiples origines : des survivances de haine et des survivances d’amitié s’entremêlent en un même drame où les acteurs ne voient plus que du plaisir. De tout temps, quoi qu’on en dise, des attractions mutuelles ont dû faire naître directement l’union entre l’homme et la femme. Un chapitre du Mahâbhârata contient la description de tous les modes légaux du mariage, au nombre de huit, et répondant évidemment aux coutumes de nations distinctes qui se sont fondues, à des âges différents, dans le grand creuset de l’Hindustan.

Les diverses formes d’union sexuelle, du régime de la promiscuité à celui du libre contrat par consentement mutuel, resteraient incomprises si l’on oubliait que, dans le mariage, l’enfant est le troisième terme de la trinité familiale. C’est lui qui, dans l’ensemble social, eut la part d’action la plus importante, lui qui modela l’homme à son image[1]. Il donna sa cohésion première au groupe d’individus des deux sexes vivant à l’aventure, de même que plus tard il donna sa raison d’être à la famille monogamique. Sans l’influence prépondérante de l’enfant, on ne pourrait s’expliquer la période du matriarcat, dont l’existence était encore ignorée naguère et que tant de documents, récemment étudiés, tant de faits d’observation prouvent avoir prévalu pendant de longs siècles chez un très grand nombre de peuples. Des auteurs[2] ont même voulu établir que l’humanité tout entière, dans une évolution primitive, aurait passé par cette phase : le gouvernement des mères. Ce qui rend cette hypothèse plus que douteuse est que l’on ne trouve point l’institution du matriarcat chez les peuples primitifs très inférieurs, tels que les tribus les plus arriérées du Brésil et les Indiens de la côte californienne : c’est chez des peuplades ayant déjà derrière elles un long passé de civilisation qu’il faut chercher les formes de la famille matriarcale[3].

L’état le plus barbare de la société est celui durant lequel l’homme domine, non parce qu’il est le père, mais parce qu’il est le plus fort, qu’il apporte la plus grosse part de nourriture et distribue les coups, soit aux ennemis, soit aux faibles de la horde. D’ailleurs, les enfants

  1. Guyau, Morale d’Epicure, page 160.
  2. Bachofen, Mutterrecht.
  3. Heinrich Cunow, Bases économiques du Matriarcat, Devenir social, janvier 1898.