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l’homme et la terre. — peuplés attardés

ments qui, pendant le cours des siècles, a créé le costume des peuples civilisés et fini par en recouvrir le corps entier, même par ne laisser paraître — ainsi chez les femmes musulmanes, entourées d’un véritable suaire — que la vague lueur des yeux. Ce n’est pas la pudeur qui fit naître le vêtement et lui donna ses dimensions actuelles, c’est au contraire l’ornement primitif et spécial du sexe qui localisa d’abord et développa la pudeur, évolution subséquente des conventions établies. La susceptibilité des sentiments, en grande partie factice, devint des plus aiguës en vertu de l’universalité de la coutume. Mais que la forme du vêtement change par l’effet de la mode, et la pudeur se déplace aussitôt[1]. La même femme qui découvre ses épaules et sa gorge dans un bal, tout en gardant sa modestie naturelle, mourrait plutôt que de se montrer ainsi devant les passants.

D’ailleurs, un sentiment analogue à celui de la pudeur proprement dite se manifeste dans toute occasion où l’usage commande. La femme lengua ou botocudo qu’on eût surprise sans disque labial se fût crue déshonorée, de même qu’un chambellan de nos jours apparaissant au milieu d’une fête officielle sans habit chamarré de décorations.

L’Indienne des bords du rio Negro, passant un jupon ou saya devant Alfred Wallace, était aussi honteuse que le serait une femme civilisée ôtant le sien en public. Dans l’archipel des Philippines, le nombril est le centre de la pudeur et ne doit jamais être découvert ; de même en Chine, il n’est pas convenable de parler du pied, et dans les peintures décentes il est toujours couvert par le vêtement ; on méprise les femmes qui laissent voir mollets ou genoux[2] ; en Espagne aussi, on doit le moins possible découvrir son pied[3].

Aux temps d’autrefois, l’homme surtout usait des ornements sexuels pour s’embellir, car dans cette société violente où chaque femme trouvait mâle qui la conquît, toutes étaient sûres de devenir épouses, tandis que l’homme, souvent devancé par d’autres ravisseurs de femmes, risquait fort de rester longtemps sans compagne ; il lui fallait plaire, se faire désirer à tout prix. De même que le coq se hérisse d’une crête rouge et bariole sa queue de plumes multicolores, de

  1. Westeraark, History of Human Marriage, p. 192 ; — Ernst Grosse, Anfänge der Kunst, pp. 93 et suiv.
  2. Havelock Ellis, Mémoire cité.
  3. G. Engerrand, Note manuscrite.