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l’homme et la terre. — peuplés attardés

de Lourenço-Marquez n’avaient-ils ou n’ont-ils encore d’autre pièce de vêtement qu’une simple enveloppe à l’extrémité du membre viril, soit un fourreau de feuilles pointues ou un petit turban d’étoffe, soit un coquillage ou une véritable boîte en bois, ou même, chez des Cafres riches, en ivoire ou en or[1] ? On comprend qu’en maintes contrées de brousses épineuses, le naturel ait à protéger soigneusement la partie sensible de son corps par une gaine ou un pagne, comme en portent presque tous les peuples sauvages ; mais on ne saurait considérer comme un vêtement protecteur, ni surtout comme un voile de pudicité, ces ornements succincts qui ne peuvent avoir d’autre résultat que de diriger les regards vers le sexe de l’homme. Quelques franges de couleur, un coquillage brillant attirent également l’attention de l’homme vers la femme. La puissance d’attraction des sexes l’un vers l’autre s’accroît naturellement en proportion des ornements qui cachent et révèlent en même temps l’homme à la femme et la femme à l’homme. La pudeur est faite pour être vaincue, et souvent s’agrémente de coquetterie : c’est l’histoire de la nymphe qui s’enfuit vers les saules, se cachant à demi, inconsciemment peut-être, pour exciter d’autant plus l’ardeur de l’amant qui la poursuit.

Toutefois il n’est pas un fait d’ordre social qui n’ait des origines multiples, et tel est le cas pour l’emploi du vêtement : suivant les circonstances, il a pu servir à détourner l’attention, tandis que d’ordinaire il sert à la fixer, et le monde animal nous fournit des exemples dans les deux directions. Si l’oiseau se pare pour attirer la femelle, la chienne s’assied, c’est-à-dire cache son organe sexuel, quand elle veut éloigner le mâle ; il est naturel que la femme se couvre aussi partiellement quand il lui convient de repousser les caresses de l’homme. La tendance à se vêtir doit aussi provenir, chez beaucoup de tribus, du dégoût que l’on éprouve naturellement à la vue des excréments, et qui doit se reporter vers la partie du corps qui fonctionne comme organe excréteur. On cache volontiers ce qui peut inspirer une certaine répugnance, et l’on remarque, en effet, surtout en Afrique où la stéatopygie est plus ample qu’ailleurs, la fréquente coutume qu’ont les femmes de voiler leur séant. Du reste, on comprend que la vue des organes de manducation, bouche, dent, langue, déchirant et suçant les chairs, puissent dégoûter aussi, et

  1. P. Haan, Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, séance du 15 juillet 1897.