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l’homme et la terre. — peuplés attardés

Des traits, des lignes ou même simplement des points, puis des ronds et des croix, telles sont d’ordinaire les seules marques indélébiles introduites dans la peau par les artistes tatoueurs. Des fleurettes gravées sur le front, la joue, le menton, le bras ou le sein des jeunes filles sont de gracieux ornements qui témoignent souvent d’un art véritable.
Cliché du Globus
tatouage de femme
mogemok (carolines)
Après avoir surmonté la première impression d’étrangeté, on ne peut s’empêcher d’admirer aussi des ensembles de dessins, grecques, losanges, entrecroisements de cercles et de triangles, s’harmonisant d’une façon merveilleuse avec la stature des individus, hommes et femmes, de certaines peuplades africaines, dans la partie occidentale du continent. Le triomphe du tatouage est celui que nous présentent, en un style bien distinct mais au moins aussi intéressant, les insulaires de plusieurs archipels polynésiens et les Japonais. On se demande pourquoi le tatouage est arrivé à sa perfection artistique en ces îles océaniques, pour la plupart de faible étendue et, par conséquent, privées d’une population dense où pussent naître spontanément de véritables écoles.

Tout d’abord, on reconnaît que l’ancienne zone d’extension de cet art comprenait seulement les parages tropicaux de la Polynésie où les arbres à fruits, les plantes alimentaires et les poissons fournissent une nourriture très abondante et où l’artiste jouissait, par conséquent, de longues heures journalières pour la continuation de son travail : le loisir dans une belle et féconde nature, qui donnait à l’homme la force, l’adresse et la beauté, laissait à l’ingénieux travailleur, libéré du travail force pour l’existence, le temps nécessaire pour entreprendre sur le patient, également sans souci du lendemain, une œuvre destinée à durer pendant des années, souvent même pendant toute la période de la jeunesse. La longue et pénible opération pouvait mettre quelquefois la vie en danger, mais en mainte terre océanique, on n’était homme, on