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tatouages

gnes ; l’homme d’autrefois étalait ses titres à tous les yeux sur son visage ou sur son corps. D’ailleurs, en pareille matière, la distinction recherchée comportait le plus souvent un enlaidissement de la personne : de même
Cliché du Globus
homme tatoué de mogemok
(ile mackensie, carolines)

(Dos)
que par forfanterie le civilisé pose pour le vice ou le crime, de même le sauvage tire vanité de ses mains auxquelles manquent des phalanges, de ses mâchoires brèche-dents, de ses lèvres distendues par de larges rondelles, ou des cicatrices de son front. Souvent aussi l’homme qui se défigure ou se mutile peut avoir des raisons autres que la vanité ou l’identification de sa personne : le deuillant sacrifie volontiers une partie de son corps à l’ami ou au parent qu’il a perdu, soit afin de le suivre dans l’inconnu, au moins par un fragment de son être qui ait vécu, soit pour se concilier l’esprit du mort revenant vers son foyer.

Plusieurs causes s’entremêlent conduisant au même but. C’est ainsi que les amulettes, destinées à protéger ceux qui les portent contre tout sortilège, sont en même temps des bijoux : le collier de corail que l’élégante mondaine dispose autour de son cou la défend certainement contre les esprits mauvais, mais il fait en outre valoir la blancheur de son teint et l’opulence de ses épaules.

Le tatouage, très grossier dans sa forme rudimentaire, tel qu’on le pratique encore chez maintes peuplades, est devenu un des arts le plus raffinés, mais seulement dans les contrées dont les populations peuvent, tout en progressant par l’intelligence et l’industrie, échapper à la tyrannie du vêtement. L’Eskimau n’est point tatoué parce qu’il est complètement couvert de fourrures.