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l’homme et la terre. — peuplés attardés

Parmi les instruments que l’on trouve dans les fouilles des demeures primitives et qui subsistent encore chez les attardés, il en est plusieurs qui leur permettaient de charmer leurs loisirs par la musique, accompagnée du rythme des mouvements corporels et des pas, mais on n’a trouvé dans les grottes qu’un seul instrument musical proprement dit, le sifflet[1]. Encore pour les origines de cet art, nous avons à remonter jusqu’au monde des oiseaux, dont quelques-uns sont si merveilleusement doués pour le chant, et dont plusieurs genres au moins, entre autres diverses espèces de grues, pratiquent fort gracieusement la danse. Nous savons que maints animaux sont très sensibles à la musique sous ses diverses formes, même de simple mesure, et que plus d’un prisonnier a pu, de cette manière, charmer des araignées, des rats, d’autres compagnons de sa captivité. Par les douces modulations de la voix, du sifflet et les instruments à vent, l’homme attire les serpents et les fait se balancer rythmiquement sur la queue. La bruyante musique militaire entraîne les chevaux comme les hommes, et, d’après les Mongols, un violoniste qui tire de son instrument des sons plaintifs fait couler des larmes de l’œil du chameau[2]. Les Dayak de Bornéo, très méprisés de leurs voisins musulmans, ont un sens de la musique très développé.

Nulle légende n’est plus vraie que celle d’Orphée, dont la lyre évoque les fauves hors de leurs retraites, les change en fraternels compagnons des hommes, et va jusqu’à faire surgir la vie dormante de la pierre pour façonner les blocs en murailles qui, d’elles-mêmes, se juxtaposent et s’érigent en cités. Orphée est bien une personnification de l’art aux âges préhistoriques, et nous pouvons attester en toute certitude que sa lyre a plus fait pour les progrès du genre humain que la massue d’Hercule.

Nous ne savons point ce qui reste de ces époques lointaines, mais on ne saurait douter que les airs siffles par le paysan menant ses bêtes à l’abreuvoir et la plupart des rythmes de campagne auxquels on adapte de nouvelles paroles, de siècle en siècle, de pays en pays, sont un héritage des temps antérieurs à l’histoire. Et que sont les chants, sinon les modérateurs des passions, les ordonnateurs de la vie journalière, les régulateurs de la pensée et des actes ? Avec la danse,

  1. Ch. Letourneau, Évolution littéraire, p. 308.
  2. James Gilmour, Mongolia