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l’homme et la terre. — peuples attardés

car il fallait à tout prix se rencontrer pacifiquement sur un marché pour obtenir les objets indispensables à l’existence, mais les circonstances spéciales qui valaient cette faveur à tel ou tel point géographique différaient suivant les contrées et les temps. Tel endroit favorablement situé avait été choisi en vertu d’une convention formelle, mais presque toujours le fait dut se produire spontanément, au lieu que la nature indiquait le mieux : le consentement tacite n’engageant en rien l’avenir répond au caractère réservé, justement soupçonneux des peuples primitifs, décidés à rompre lors de la première alerte. En tous pays, à toutes les époques, sont nés de ces lieux francs pour les échanges, les rencontres, la joie de se voir, même entre ennemis. Dans le Sous marocain la règle admise défend toute vengeance un jour de marché (Brides).

Les demeures de l’homme, les sentiers qu’il trace, les lieux de campement et de marché parlent surtout de paix, mais la guerre sévissait aussi, entre les groupes sollicités par des intérêts divers, et l’industrie naissante avait à pourvoir à la fois aux progrès et aux passions de tous, à rendre les peuples plus forts pour l’entr’aide ou pour la lutte. Ces témoignages des conquêtes graduelles de l’humanité ont pu se conserver principalement dans les grottes, sous la protection des rochers et des concrétions calcaires déposées depuis le séjour des troglodytes. Signalons surtout les cavernes du midi de la France, de la Vézère, de la Cère et de la Dordogne à la Cèze et à l’Ardèche.

Aussi longtemps que les hommes, comme leurs cousins les singes, n’eurent à leur disposition que les armes naturelles, les muscles, les griffes et les dents, auxquelles ils ajoutaient à l’occasion la branche arrachée d’un arbre voisin ou les pierres détachées du roc, ils durent rester principalement arboricoles, ou du moins habitants de la forêt qui leur fournissait abri contre les bêtes sauvages, et leur nourriture dut être surtout celle qu’ils trouvaient aussi dans le monde végétal, feuilles et baies, écorces, racines et tubercules. Mais après la longue série des ans et des siècles, apportant chacun son contingent d’expériences et de progrès, lorsqu’un Archimède primitif eut appris à distinguer l’arme tranchante, le silex aigu de la pierre brute, informe, l’homme devint à son tour l’égal des fauves, et put descendre de son habitation haut perchée pour les combattre sur leur terrain et à par-