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l’homme et la terre. — peuples attardés

En nombre de contrées, notamment dans le Tibet oriental et en Amérique, dans le pays des Inca, les oroyas, tarabitas et divers types de « funiculaires » employés pour la traversée des gorges profondes, d’une falaise à l’autre, doivent être considérés, sans doute, comme des constructions héritées de peuples ayant joui autrefois d’une culture supérieure à celle des habitants actuels de la contrée. Quelques tribus américaines devenues sauvages — entr’autres les Aruacos de la Sierra Nevada de Santa Marta — ont conservé des formes de constructions certainement primitives, tels les ponts composés d’arbres vivants qui se penchent l’un vers l’autre et dont on entrelace les branches maîtresses en ajoutant des réseaux de lianes au plancher rudimentaire.

L’homme civilisé, ayant actuellement de très grandes exigences pour ses voies de communication, routes, canaux et voies ferrées, est trop porté à croire que ses ancêtres, les primitifs, se trouvaient presque entièrement dépourvus des moyens de parcourir le monde. C’est une erreur. Ne possédant pas de véhicules, nos aïeux les chasseurs ou les bergers nomades se servaient d’autant mieux de leurs membres, et les exploits pédestres qui sont considérés maintenant comme exceptionnels étaient alors des faits de commune occurrence, comme on le voit dans le nord du Mexique, chez les Seri, les Yaqui, les Tarahumara.

Des tribus entières se déplaçaient, suivies de leurs malades, de leurs blessés, et rattrapées en route par les accouchées qui avaient dû s’arrêter quelques jours dans un abri. Que de fois des voyageurs, chevauchant dans un sentier bien frayé, ont été surpris de voir pendant toute une journée des Indiens les accompagner dans l’épaisseur du fourré, bondissant par-dessus les obstacles et se glissant comme des serpents entre les lianes. Grâce à cette facilité de déplacement, d’autant plus grande que moins de fortune acquise attachait les peuplades à leur résidence première, les indigènes émigraient fréquemment en masse à des centaines, à des milliers de kilomètres même, en des pays différents par les productions et le climat. Les recherches des ethnologistes américains ont abouti à ce résultat étonnant, de montrer des tribus de même origine et de même langue dispersées sur tout l’immense territoire qui s’étend de l’île Vancouver à la Floride et de la Méditerranée canadienne à la Sierra Madré. On eût