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l’homme et la terre. — peuplés attardés

forêt et de la carrière qui fournissent le bois et la pierre, proximité de la crique bien abritée où flottent les esquifs. Mais aux conditions favorables du milieu rapproché s’ajoutent celles du milieu lointain ; les tribus, les peuplades, les nations se groupent diversement sur la terre en vertu de leurs attractions réciproques ; elles sont guidées instinctivement par les rapports mutuels d’échanges que nécessitera leur existence, dès qu’elles auront échappé à la sauvagerie primitive, dans laquelle la horde ne vit encore que pour elle-même, à la fois peureuse et féroce comme une bande de loups.

Dès que se manifestent les sentiments de curiosité, les appels de sympathie, les besoins de secours et d’entr’aide, les groupes humains tendent à se voir, à mesurer les intervalles qui les séparent du voisin, à frayer un sentier dans la direction de sa cabane. A part les Seri et diverses peuplades de la grande selve amazonienne, que les conditions du milieu, en les privant de tout contact avec des voisins, ont par cela même rendus hostiles à tout rapprochement, les groupes ethniques dont la Terre est peuplée aiment à se voir, à se rencontrer à des intervalles plus ou moins rapprochés.

La plupart des tribus limitrophes ont des lieux de rencontre, choisis d’ordinaire en des sites facilement accessibles par des chemins naturels, rivières, défilés ou cols de montagnes, souvent à proximité d’un débouché de vallée ou d’une traversée de cours d’eau : là se célèbrent les fêtes, se tiennent les palabres, s’échangent les objets qui manquent aux uns, et que les autres ont en surabondance. Les Peaux-Rouges qui, au siècle dernier, parcouraient encore librement les étendues forestières et les prairies du versant mississippien, aimaient à prendre pour lieu de réunion des péninsules dominant le confluent des rivières — telle la pointe triangulaire qui sépare le Monongahela et l’Àlleghany, le Fort Duquesne des Français du dix-huitième siècle, la Pittsburgh de nos jours — ou des collines bien découvertes, à vue ample et libre, d’où l’on apercevait de loin les compagnons cheminant dans les prairies ou ramant sur les rivières ou les lacs — tels deux îlots de Manitu, entre les lacs Michigan et Huron.

Encore au milieu du dix-neuvième siècle, chaque saison de printemps voyait accourir de toutes parts des foules de Peaux-Rouges sur le « Grand Encampement », vastes plaines herbeuses que dominent à l’ouest les montagnes du Wyoming méridional, près du faîte de par-