Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
l’homme et la terre. — peuplés attardés

barricadant l’entrée par des rocs ou des troncs d’arbres mobiles, en nivelant le sol, en brisant les saillies de la voûte.

Mais là aussi, nos ancêtres eurent d’abord, soit à livrer bataille contre les fauves, soit à s’entendre tacitement pour le partage du domicile, la grotte étant une habitation aussi désirable pour les uns que pour les autres. Les archéologues y ont retrouvé maintes traces du changement de propriétaires. Quelques-uns de ces réduits souterrains constituent de véritables villes par le développement de leurs galeries : des tribus entières y trouvèrent asile avec leurs troupeaux, sans avoir rien à craindre d’un siège, surtout quand elles disposaient de plusieurs portes de sortie, inconnues des assiégeants, et pouvaient se ravitailler dans les campagnes. Mais aussi que de souterrains peu étendus devinrent les sépultures de leurs habitants, lorsqu’un ennemi supérieur en nombre venait murer l’entrée de leur caverne pour les condamner à mourir de faim, ou bien allumer des feux de paille ou de feuilles humides pour les étouffer sous la fumée ! Ces atroces faits de guerre n’appartiennent pas exclusivement aux âges préhistoriques et, même de nos jours, c’est par des abominations de cette espèce que de prétendus civilisés ont augmenté leur halo de gloriole.

En temps de paix, les troglodytes ne sont pas toujours assurés de vivre tranquillement en leurs demeures rocheuses : l’eau qui suinte dans la pierre, en décorant le plafond de ses blancs pendentifs, rend certaines parties de la grotte inhabitables, tandis que d’autres, au toit fissuré, menacent de tomber à la moindre secousse de tremblement sismique. Mainte grotte, autrefois habitée, est actuellement inaccessible à cause des éboulis. D’autres sont exposées à l’envahissement des eaux. Telle est celle du Mas d’Azil, dans la France pyrénéenne, que traverse une rivière, la Rize (Arise), parfois gonflée par les flots de crue jusqu’à 13 et 14 mètres plus haut que l’étiage[1]. C’est ainsi que, par cinq fois, les hommes de l’âge du renne, installés dans la grotte, sur la rive gauche de l’Arise, furent expulsés par les inondations et durent fuir sur les hautes anfractuosités extérieures du rocher, à l’abri de quelque auvent naturel, les protégeant à demi contre les intempéries.

Malgré tous ces inconvénients et dangers, les cavernes furent cer-

  1. Ed. Piette, Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 18 avril 1895.