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l’homme et la terre. — peuplés attardés

plus ou moins bien entretenus. Les survivances de la demeure primitive se montrent jusque dans les cités les plus somptueuses. En cherchant bien, ne trouve-t-on pas quelques troglodytes dans Paris et dans Londres ? Ne voit-on pas aussi des gens vivant sous la hutte, grossier amas de branchages et débris, sans compter ceux qui, la nuit, couchent
hutte construite dans l’extrême-nord
avec des ossements de baleine

D’après une ancienne gravure d’Olaüs Magnus.
dehors ?

Dans les contrées à température tropicale, où l’homme se développa sans doute en sa jeunesse première, les fourrés de la brousse servent encore d’habitations communes à de très nombreuses peuplades. Naguère on appréciait comme demeures parfaites les cimes des grands arbres, offrant un plancher naturel au point de divergence des branches maîtresses, et s’étalant au-dessus en un épais abri de feuillage contre les ardeurs du soleil et la violence des pluies et des tempêtes.

Comme leurs cousins les quadrumanes, les bimanes habitaient à portée de main et de dent pour les fruits et les baies qui servaient à leur nourriture et, en cas de défense contre les assaillants, ils n’avaient qu’à briser les branches de leur forteresse vivante et à les employer en guise de dards, de lames ou de massues. Lorsque le fourré était épais, formé d’arbres unis en une seule masse par les branches entre-croisées et par les câbles des plantes parasites, il pouvait arriver que des batailles se livrassent dans le feuillage, entre les arboricoles et les envahisseurs venus par des sentiers aériens. Mais dans la société contemporaine, où les moyens d’attaque ont un effet immédiat et foudroyant, il est devenu impossible aux tribus forestières de conserver leur demeure de branchages. On sait que les Uaraoun du delta de l’Orinoco n’habitent plus les cimes de leurs palmiers pendant les crues du fleuve ; quant aux peuplades sara, qui vivaient comme les singes sur les hautes branches des ériodendrons, elles en ont été