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l’homme et la terre. — peuplés attardés

grains, aux pousses vertes des plantes indigènes, à moins qu’ils n’ajoutassent à leur repas quelque gibier fourni par les rares représentants de la faune terrienne et les poissons ou fruits de mer que les eaux, leur donnaient en abondance.

Dans le voisinage du désert, dans les terres pierreuses au climat uniforme, le régime des habitants devait être aussi très peu varié, tandis que les contrées continentales, fort riches en espèces diverses, offraient aux résidants tous les éléments possibles de la nourriture la plus choisie. Le milieu fait l’alimentation de l’animal ; il fait également celle de l’homme, et, suivant les lieux et les temps, les différences peuvent être si considérables que le repas le plus succulent d’un individu est pour un autre le plus repoussant. Tel gourmet préfère les insectes et les vers, tel autre le lard rance, la chair pourrie ou les matières encore vertes, à demi digérées, que l’on trouve dans l’estomac du renne. Un Mongol, compagnon de Prjvalskiy, vomissait d’horreur à la vue des Européens auxquels il voyait manger du canard, tandis que lui-même se nourrissait de tripes de mouton non lavées. Des nations entières se contentent de grains et de fruits, tandis qu’à d’autres il faut de la chair saignante, et que de nombreuses peuplades, en divers pays de la Terre, boivent même le sang d’autres hommes, soit par cruauté guerrière, soit par respect de l’ennemi, pour faire passer dans leur propre corps l’âme d’un vaillant — comme les Malais de Singapur mangeant la chair du tigre, — soit par quelque autre illusion religieuse ou patriotique, soit même en conséquence de famines qui changèrent l’homme en animal de proie. Que de fois des marins égarés sur l’Océan ont-ils eu recours au sort pour désigner celui d’entre eux qui servirait de nourriture aux autres ! C’est à la fréquence de ces conjonctures que Dunmore Lang attribue la très forte proportion de cannibales parmi les insulaires polynésiens : cependant le caractère religieux domine dans les pratiques de l’anthropophagie. Certains aliments et condiments qui sont nécessaires à la plupart des hommes restent inutiles à d’autres : ainsi le sel, dont le civilisé d’Europe ne peut se dispenser, répugne à certaines tribus du centre africain, qui trouvent peut-être en suffisance les sels de potasse ou de soude dans leur aliments d’origine végétale.

Les « débris de cuisine », amas de coquilles que l’on rencontre sur les côtes danoises, ainsi que les ostreiras ou « huîtrières » de l’Amérique espagnole, les sambaqui du littoral brésilien et les monceaux de