Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
l’homme et la terre. — travail

branches au-dessus de la cabane, des pécaris fouiller dans le sol, des toucans, des perroquets se percher çà et là. Les grands oiseaux agami et les chiens sont les défenseurs de toute la grande famille, et l’étranger ne réussira point à pénétrer dans la hutte s’il n’est introduit par les hôtes eux-mêmes.

Pourvu de tous ces familiers, un Européen moderne en alimenterait à souhait sa cuisine, mais l’Indien respecte la vie des animaux élevés par lui : ils appartiennent à sa maisonnée, et s’ils rendent des services domestiques pour la garde ou pour l’éveil, la violence n’y fut pour rien : c’est de la libre association qu’est née la communauté de vie. D’ailleurs, il est certain que, grâce à cette camaraderie, l’évolution des animaux qui s’attachent à l’homme devient beaucoup plus rapide, de même que, dans la société humaine, l’intelligence de l’élève s’épanouit en proportion des qualités correspondantes chez ses éducateurs.

Ce qui est vrai pour notre espèce l’est également pour les autres. On comprend difficilement comment les partisans même de la théorie d’évolution ont pu prétendre, après avoir vu les animaux domestiques frayant avec l’homme, que la progression intellectuelle des êtres, depuis l’état rudimentaire des microbes jusqu’à l’organisme compliqué et à la ruse subtile du chacal, du carcajou, du renard, à la sagesse de l’éléphant, serait frappée d’une loi fatale d’arrêt.

D’après cette hypothèse, la bête resterait enfermée dans un cercle dont elle ne pourrait sortir. Les chiens de chasse et le gibier poursuivi ne sauraient varier leurs ruses, les insectes ni les vertébrés industrieux n’apprendraient jamais un procédé nouveau, et nul oiseau chanteur ne modifierait ses accents ! Il est possible que l’évolution de l’intelligence animale se soit faite avec une plus grande lenteur que celle de l’homme depuis que celui-ci s’est pourvu d’instruments, mais elle se poursuit dans les espèces prospères. Il y a similitude d’évolution entre l’homme et ses frères inférieurs.

Partout où se sont constituées de petites sociétés, des mondes en miniature ayant par leurs intérêts communs une individualité collective, ces groupes tendent à utiliser les conditions extérieures du milieu pour se créer un corps géographique bien déterminé : les hommes cherchent à s’adapter aux traits de la nature ambiante de manière