Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
l’homme et la terre. — travail

cartaient du troupeau. Puis, lorsque les bêtes paissaient tranquillement, il enfourchait le premier mouton venu pour le dépouiller de ses parasites. Evidemment, il avait tout intérêt à se faire l’associé de l’homme, et si le marché se conclut, c’est grâce à son initiative personnelle[1].

En certaines contrées, cette association est forcée, pour ainsi dire, puisque le sol et le climat placent l’homme et les animaux en des conditions de stricte interdépendance. Ainsi, dans les ranchos et les corroies du Nouveau Mexique, de l’Arizona, de la Sonora, les vautours « vidangeurs » deviennent forcément des commensaux de la famille, et, de part et d’autre, entre les oiseaux et les hommes, naît un sentiment collectif de propriété commune et de solidarité ; quand un étranger se présente, le vautour se tient à distance d’un air soupçonneux, puis se rapproche avec une satisfaction évidente dès que l’intrus est parti : comme la volaille domestique, il appartient à la grande famille de la basse-cour.

Le pigeon aime aussi le voisinage de l’homme, et souvent même, quand l’aigle ou le faucon planent dans l’espace, il cherche un refuge près de la cabane et jusque sous son toit. Le loup coyote, moins familier, est, sinon un commensal, du moins un parasite de l’Indien mexicain. On sait qu’il vient la nuit rôder autour du foyer pour ramasser les reliefs du repas, et l’on se garde bien de l’effaroucher ; on lui reconnaît comme une vague parenté, et, en échange de la tolérance qu’on lui assure pendant ses visites nocturnes, on attend de lui une protection efficace contre les génies malfaisants des nuits.

La domestication des animaux n’est qu’un degré supérieur de la familiarité première, provenant de l’échange des services et de l’accoutumance. Dans la Sonora et l’Arizona, le dindon est absolument apprivoisé comme dans les basses-cours d’Europe, et l’on a tout lieu de penser que ce volatile commença, comme le pigeon, par demander en même temps refuge et nourriture à l’homme, et qu’à la fin, complètement habitué à ce nouveau milieu, il eût redouté de se hasarder encore dans la brousse ou sur les sables brûlants[2]. L’industrie de l’homme n’eut pas à s’exercer dans cette évolution de l’animal : la sympathie, la bonté naturelle et la communauté des intérêts suffirent.

  1. Blom, Mouvement géographique, 6 novembre 1898.
  2. W. J. Mac Gee : The Beginning of Zooculture, American Anthropologist, 1897.