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l’homme et la terre. — travail

explosions de graines qui se font avec violence, même avec bruit, en plusieurs espèces de plantes, ne pouvaient certainement pas manquer d’attirer l’attention des hommes. Quand le sauvage des forêts brésiliennes voyait tomber d’un grand arbre (Bertholetia excelsa) une lourde noix, grosse comme une tête d’homme, et que cette noix, se brisant sur le sol ou sur une racine, projetait ses semences au loin, comment n’aurait-il pas compris que ces graines éparses contenaient en germe autant d’arbres semblables à celui qui venait de rejeter son fardeau ? Des fruits de moindres dimensions, telles que la balsamine « impatiente », se débarrassent de leurs semences d’une manière analogue ; bien mieux, l’arachide enterre elle-même ses fruits, et donne à l’enfant qui la regarde une leçon directe d’agriculture ; enfin, les herbes rampantes qui, de distance en distance, mordent le sol, y plantent leurs radicelles comme de véritables dents, et les végétaux à tubercules, qui s’environnent dans la terre d’un essaim d’autres poches nourricières, enseignent également à l’homme, de la manière la plus évidente, les procédés à suivre pour renouveler d’année en année la génération végétale. Il est peu d’enfants campagnards, parmi ceux qui disposent de quelque loisir, chez lesquels ne se soit développé spontanément l’amour de la culture.

Qui de nous n’a planté son arbre fruitier ! Et ce que chaque bambin fait maintenant, les peuples enfants le firent aussi dans les plus diverses régions de la terre, sous différentes formes, suivant les contrastes des milieux.

L’agriculture naquit donc en mille endroits différents, mais on comprend bien que de nombreux primitifs aient été plus enclins à se procurer la nourriture par la chasse et par la guerre que par la culture du sol. En effet, la fouille des terres, les travaux de l’ensemencement, ceux de la moisson, quand ils se font en grand, demandent une application soutenue, de la réflexion, de la patience, tandis que la poursuite du gibier ou de l’homme est surtout une œuvre de passion : quoique poussé par la faim, le primitif voit dans la chasse un véritable amusement que la perspective d’un accident quelconque, de la mort même, rend plus intense et plus forcené. Dans ce cas, l’excitation finit par se transformer en une véritable folie[1] : dans la lutte, l’homme ne

  1. Guillaume Ferrero : Des Formes primitives du Travail, Revue scientifique, 14 mai 1896.