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aide mutuelle

teurs les plus actifs de la commune, finit par se changer en un véritable supplice, et c’est en grâce que les gens d’âge, devenus inutiles, en scandale et en horreur à eux-mêmes, demandent aux leurs de les aider à partir pour le pays du repos éternel ou d’une nouvelle vie éternellement jeune. Les familles modernes sont-elles vraiment meilleures pour les parents âgés, lorsque ceux-ci, souffrant de maladies atroces, demandent avec larmes qu’on leur épargne le supplice continu ou les douleurs fulgurantes, et que cependant, sous prétexte d’amour filial ou conjugal, on les laisse lamentablement gémir pendant des semaines, des mois ou des années ?

La forme communautaire de la propriété, qui prévalut dans presque tous les pays du monde et qui se maintient çà et là, même dans les contrées le plus complètement accaparées par des propriétaires individuels, permet de constater combien l’entr’aide fut l’idéal et la règle chez les peuples agricoles arrivés à un degré de civilisation déjà très avancé. Là aussi le souci d’un chacun dut être la prospérité de tous, ainsi qu’en témoignent les mots mêmes qui servent à désigner la collectivité des villageois associés. Ce sont les « universités » des Basques, les « mir » russes ou petits « univers », les zadrughi ou « amitiés » des Serbes, les « fraternités » des Buriates.

Le terme de « commune » que l’usage du latin et des langues qui en sont dérivées a généralisé dans le monde s’applique à tous les hommes « qui prennent part aux charges », c’est-à-dire à tous ceux qui s’entr’aident. Et de la commune naît la communion, c’est-à-dire le partage du festin et l’échange des pensées intimes. Car « l’homme ne vit pas de pain seulement » et l’entr’aide n’a cessé de se produire par la communication des idées, l’enseignement, la propagande. Il n’est pas un homme, pas même un égoïste, qui ne s’évertue à faire pénétrer sa façon de concevoir les choses dans l’intelligence d’autrui. Car plus la société progresse, plus l’individu isolé apprend, même inconsciemment, à voir des semblables dans ceux qui l’entourent.

La vie, qui fut simplement végétative chez les types inférieurs de l’animalité, de même que pour les hommes vivant dans la brutalité première, prend un caractère tout autre et bien plus ample chez ceux dont l’intelligence et le cœur se sont agrandis. Ayant acquis la conscience de vivre, ils ajoutent un nouveau but au but premier, qui se bornait à l’entretien de l’existence : le cercle infiniment