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l’homme et la terre. — travail

sur une calebasse, il suit les chemins que lui ont frayés le sanglier, le tapir ou l’éléphant : en observant les traces du lion, il sait de quel côté il trouvera de l’eau dans le désert, et le vol des oiseaux, cinglant haut dans le ciel, lui fait deviner la brèche la plus facile pour la traversée de la montagne, et, sur la rondeur de la mer, le détroit le moins large, l’île inaperçue de la rive.

Souvent, l’instinct commun à l’animal et à l’homme apprit à celui-ci l’art de feindre, de fuir ou de se déguiser au moment du danger. Les exemples de la bête, aussi bien que le ressouvenir de la race propre, auraient pu lui enseigner à « faire le mort », c’est-à-dire à se tenir coi pour ne pas attirer le coup de bec ou de griffe sur sa tête. Les mères peuvent aussi tirer avantage, pour l’éducation des enfants, de l’art avec lequel les oiseaux savent apporter la becquée, mesurer la nourriture et le temps du vol, lâcher les oisillons, désormais maîtres de l’espace. Enfin, l’homme a reçu de l’oiseau cette chose inestimable, le sens de la beauté, et, plus encore, celui de la création poétique. Aurait-il pu oublier l’alouette qui s’élance droit dans le ciel en poussant ses appels de joie, ou bien le rossignol qui, pendant les nuits d’amour, emplit le bois sonore de ses modulations ardentes ou mélancoliques ? Maintenant il apprend à imiter l’oiseau pour construire des aéronefs ; de même qu’il imita jadis le poisson pour se façonner des esquifs avec une épine dorsale servant de quille, des arêtes qui sont devenues des membrures et des nageoires transformées en rames et en aviron[1].

Le domaine de l’imitation embrasse le monde des hommes aussi bien que celui des animaux. Il suffit qu’une peuplade soit en contact avec une autre peuplade pour que le besoin de lui ressembler par tel ou tel caractère se fasse aussitôt sentir. Dans un même groupe ethnique, l’individu qui se distingue des autres par quelque trait frappant ou par quelque travail personnel devient aussi un modèle pour ses camarades, et du coup, le centre de gravité intellectuel et moral de toute la société doit se déplacer d’autant. D’ordinaire, l’imitation se fait d’une manière inconsciente, comme par une sorte de contagion, mais elle n’en est que plus profonde, et celui qui en est atteint en reste modifié dans tout son être. Les imitations conscientes ont une part moins importante dans la vie, mais une part encore très considérable, puisque

  1. R. von Ihering, Les Indo-Européens avant l’Histoire, trad. de Meulenaere, p. 197.